Stone Town, Zanzibar
La nuit fut calme, à peine tempérée par la fraîcheur des étoiles et le ronronnement obstiné du ventilateur plafonnier. Une douce torpeur imbibe la vénérable demeure patricienne. Soudain retentit la voix rocailleuse du muezzin, avant même le chant du coq. Les volutes de ses mélopées torturées s’échappent du minaret, dansent dans l’air matinal pour se glisser à travers les grilles des moucharabiehs et les persiennes des fenêtres. En écho, quelques palombes roucoulent leur éveil, avant de se livrer à un jogging sonore sur les toitures de tuile. En bas, les vieilles ruelles s’animent de voix rauques de sommeil, de bruits de sandales sur les pavés inégaux encore englués d’obscurité.
Las de lézarder sur le balcon, le rai lumineux s’introduit subrepticement dans la chambre à travers les persiennes de bois sombre. Impudent, il explore l’espace, viole son intimité, anime sans vergogne la myriade de particules flottant dans l’air. Face au monumental lit à baldaquin, le rayon hésite un peu. Il s’attarde d’abord dans les courbes des riches sculptures, avant de tamiser son insolence à travers la moustiquaire. Puis la lumière découvre avec fascination les glaces de la lourde armoire. Elle s’y abandonne dans une folle partie de ping-pong qui déflore l’obscurité virginale de la pièce jusqu’au sombre recoin où somnolait le discret écritoire.
Au-dehors, la vie s’affirme. Un coq ensommeillé vocalise un air déjà échauffé, alors qu’un clocher sonne les matines. Le brouhaha des venelles se confirme, souligné par des pétarades de roues à moteur. Les murs décatis des maisons voisines retentissent déjà de conversations animées que ponctue l’entrechoc des casseroles. Vaincue, la nuit disparaît pour un jour.
Je ne résiste pas à l’appel du toit terrasse de la maison patricienne qui m’accueille. Le regard erre dans le fouillis architectural enlaidi d’antennes de télécommunication, puis se fixe sur un temple hindou. Au loin, le port, puis l’océan Indien rappellent la vocation maritime et l’héritage multiculturel de l’île: un substrat noir africain baigné de cultures arabo-musulmane, indienne et hindoue, saupoudré d’influences lusitaniennes et anglaises. Mise en musique par le chant du muezzin, la scène révèle un pan essentiel de l’âme zanzibarite. Le petit déjeuner sonne un entracte au spectacle et à la rêverie.
Appel de la rue
De la terrasse, la rue m’appelle de façon toujours plus insistante. Plus nombreux, les bruits de voix et de pas ricochent et s’amplifient dans les ruelles avant de s’échapper vers les hauteurs. Je termine le déjeuner collé au muret qui nous sépare de la rue, les yeux et l’esprit rivés en contrebas.
Peu après, Je me plonge dans le bain de foule. Les regards sont bienveillants, mais souvent distants. Un peu comme au Burundi, mais un peu seulement. En dépit de son tohu-bohu public, Zanzibar est éminemment pudique – reflet de sa forte culture musulmane.
Même la lumière crue de la mi-journée ne vainc tout à fait la pudicité de Stone Town, le vieux quartier de sa capitale. L’intimité est consubstantielle à cette géographie urbaine qui défie le sens de l’orientation. Ses dédales des ruelles tortueuses semées de places lilliputiennes et de traîtres culs-de-sac bannissent tout trafic automobile.
Datant souvent du XVIIIe siècle, les maisons anciennes respirent également la discrétion. Leurs lourds murs sont à peine percés de quelques ouvertures, aussitôt bâillonnées pour filtrer le son et la lumière.
Stone Town n’est pas une cité ancienne scrupuleusement restaurée dans l’esprit de ses fondateurs. De très nombreux édifices tombent en ruine, faute d’entretien. Certains esprits s’e réjouissent presque, ne souhaitant pas raviver le souvenir peu flatteur d’une opulence passée bâtie partiellement sur le commerce lucratif de l’esclavage. Les autres estiment le lieu trop riche d’histoire pour entrer en déliquescence.
Le quartier est inscrit par l’Unesco au patrimoine mondial de l’humanité depuis moins d’une décennie. Un lent processus de restauration a démarré depuis lors, mais beaucoup reste à faire.
Seules les façades s’autorisent la magnificence d’une monumentale porte d’entrée, qui baille parfois furtivement sur une cour intérieure. De tradition arabe, ces portes à double battant sont faites d’un bois richement sculpté et flanqué d’une armée d’énormes clous de cuivre. Ces clous à tête protubérante seraient d’origine indienne, destinés à protéger les logis des attaques d’éléphants. Pour moi, ils évoquent irrésistiblement le clou de girofle, comme pour honorer cette fleur qui valut tant de prospérité à Zanzibar. Autre référence à une richesse locale, ces portes somptueuses sont parfois surmontées d’un épais linteau de corail marin, finement ciselé de motifs symboliques.
Les gens
Plus que les vénérables bâtisses, les gens m’intéressent. Les premiers saluts échangés sont en swahili, langue vernaculaire du littoral oriental africain. Je risque un vigoureux «As-salaamu Alaikum» qui laisse en pantois plus d’un résident. Aiguisés par la curiosité, certains d’entre eux engagent la conversation pour mieux cerner mon profil culturel. Musulman? Non, mais ayant vécu dans un pays musulman, le Pakistan. Du coup, mon crédit croît considérablement. Les langues se délient, les sourires pointent, les mains se font plus volubiles et les prix plus doux.
Les femmes zanzibarites se nimbent de la même mystérieuse élégance que leurs demeures. Leurs silhouettes drapées aux senteurs de cardamome glissent dans les venelles d’un pas rapide. Le voile serré sur la tête qui s’épanche sur les épaules, leurs mains peintes au henné en soulignent encore la délicatesse. L’étroite lucarne du voile capture le regard plus sûrement que la plus sexy des minijupes. Elle révèle avec parcimonie une peau couleur cannelle et des yeux d’un noir profond rehaussé d’un épais mascara.
Dans une expression plus contemporaine de sa vocation de carrefour ouvert sur l’Afrique orientale, Zanzibar est aussi un haut lieu de culture masai et rastarafi.
Le front de mer
En fin de journée, Phébus boude déjà les profondes ruelles de Stone Town mais caresse délicatement le front de mer. Invitation à une flânerie sur la plage. Terrain de jeu pour les enfants, place de travail pour les pêcheurs, lieu de promenade et de sport pour les citadins résident, endroit de villégiature et de farniente pour les touristes, la plage vibre de gens et d’activités. Un bel endroit pour se préparer à vivre avec délices un autre réveil à Zanzibar.
Bien à Vous,