Guinée Conakry – Destins peuls

J’ai omis de vous relater les dangers affrontés durant ma marche vers la capitale de mon royaume du Fouta-Djalon. D’abord, l’argile et le grès qui recouvrent les sentiers de randonnée. Baignés des pluies nocturnes, tous deux se dérobent traîtreusement sous le pied, du moins le mien. Entre deux glissades, je maudis mes chaussures pourtant équipées de semelles vibram. Mon guide et mon porteur, chaussés de simples sandales de plastique, franchissent les obstacles sans vaciller.

Ensuite, les fourmis magna, à l’apparence similaire aux petites fourmis noires européennes, mais à l’agressivité sans pareille. A la faveur d’un pas posé à leur proximité, elles se ruent à l’assaut de vos chevilles, jambes et plus si affinités. En soussou, on les appelle les fourmis « enlève ton pantalon ». Je l’ai fait pour m’en débarrasser. Enfin, il y a cet énorme papayer, terrassé par un violent orage nocturne et dont la chute éventre presque la case qui m’abrite. Au réveil, je peine à paraître chagriné par l’incident qui écorne le budget familial de mon hôte, mais qui agrémente mon petit déjeuner d’une profusion de papayes.

Mon petit voyage est avant tout social, dans une société peule encore largement traditionnelle, malgré quelques touches de modernité. Ainsi, l’immense majorité des villages du Fouta-Djalon ne sont pas connectés à un réseau téléphonique. Seuls quelques villages perchés sur les hauts plateaux bénéficient d’un zeste de couverture cellulaire, parfois limité à quelques mètres carrés. Le marché hebdomadaire de ces villages permet aux habitants des bourgades voisines d’y effectuer leurs appels téléphoniques de la semaine. Perchée sur un monticule, une grappe de gens crie et gesticule au vent, le téléphone cellulaire collé à l’oreille.

La culture dominante du Fouta-Djalon est peule, malgré que les Djalonkés, ethnie animiste sédentaire, peuplent la région dès la moitié du XIIIe siècle. Les Peuls, jadis éleveurs nomades, s’y fixent dès la fin du XIVe siècle pour pratiquer l’élevage, l’agriculture et le commerce. Suite à une vague migratoire de Peuls musulmans qui mènent une guerre sainte contre les autochtones animistes, l’Etat théocratique, fédéral et féodal du Fouta-Djalon naît au début du XVIIIe siècle, fondé sur l’islam, la domination ethnique peule et le servage. Les Soussous refluent vers la côte maritime, alors que les Djalonkés se convertissent ou sont asservis.

La société du Fouta est fortement structurée et inégalitaire, dominée par une aristocratie politico-militaire et maraboutique, peu encline aux tâches manuelles. Puis viennent les hommes libres, souvent artisans, sous lesquels gravitent les serviteurs et les esclaves, non musulmans. Ces derniers vivent dans des villages agricoles gérés par l’aristocratie. Le brassage social intervient par adhésion à l’islam et grâce aux intermariages.

Le servage demeure d’actualité, quoique sous une forme atténuée. Un aristocrate local me présente sa belle-mère d’un « Voici mon esclave. » Certains villages restent coupés en deux, avec double cimetière pour l’élite peule et leurs dépendants.

Ma peinture de société se décline en une vingtaine de tableaux d’hommes et de femmes rencontrés çà et là lors de mon périple. Reflet d’une société éminemment patriarcale, les hommes d’abord.

Destins de Peuls

Chef de village

Sa famille peule se fixe jadis dans la région malgré l’opposition locale des Djalonkés. Son aïeul, chef de clan, est furieux. Son village a perdu une bataille contre des voisins djalonkés qui leur ont de surcroît volé leur talaba. Ce tambour (cf. photo) est frappé à l’aide de deux baguettes de cuir tressé pour communiquer divers messages aux habitants du village ou de son voisinage.

Furieux donc, l’aïeul se rend seul en opération commando dans le village djalonké. A l’aube, il tue par surprise le chef du village, puis le décapite.

Au retour, le vainqueur exhibe fièrement le talaba recouvré, suivis par les Djalonkés vaincus et dépités qui emmènent leur bétail. Le vainqueur conserve les terres et les hommes en servage, alors qu’il remet les animaux domestiques et les femmes aux dignitaires de l’Etat peul.

Musulman dévot

L’homme est également issu d’une famille patricienne peule. A la mort de leur père, lui et ses frères rentrent de Dakar et de Freetown pour prendre soin des propriétés familiales. Heureux père de huit enfants dont deux jumeaux, il se réjouit de les voir grandir sur les terres de ses ancêtres.

Forgeron

Comme son père et ses ancêtres, l’homme est timide et taciturne, au discours empreint de bon sens. Son bras droit, qui martèle sans relâche le métal chauffé au rouge, constitue son unique gagne-pain, ses enfants sa seule rente de vieillesse. Ceux-ci souhaitent s’affranchir de leur héritage fonctionnel, ce qui met en danger la dernière forge du village. Historiquement, les forgerons du Fouta ont gagné une position sociale médiane grâce à leur savoir-faire en matière de fabrication d’armes et d’outils agricoles, indispensables à la sécurité et au bien-être de l’élite peule.

Agriculteur

Passionné au parcours professionnel de maître tailleur à Dakar et Bamako, l’homme déploie encore une énergie phénoménale. En quelques mois, il multiplie sur les terres ancestrales les mises en cultures vivrières de toutes sortes. Vu que ses enfants n’envisagent pas de poursuivre son grand oeuvre agricole, il recherche un associé de confiance, travailleur et honnête. Avis aux amateurs.

Chasseur

De je ne sais quoi, bête à poil ou à plume. Pas peu fier de son arme, il porte en sus une fronde destinée à éloigner les serpents. Questionné sur ses activités, il se gonfle d’aise, se fait volubile et brouillon. Au moment de reprendre son chemin, le chasseur peul tire de sa besace un concombre sauvage, délicatesse des terres du Fouta, et me l’offre avec un grand sourire. Heureuse rencontre entre un chasseur d’images et un chasseur de concombres sauvages.

Tirailleur

Retraité de l’armée française, l’homme évoque orgueilleusement ses années de service sous les drapeaux de la métropole durant la seconde Guerre mondiale, puis en Algérie et même en Indochine. Je m’incline par déférence devant le vénérable combattant, sans trop savoir comment apprécier la véracité de ses dires. A tout le moins, le vieillard ne paraît pas trop aigri de ses expériences guerrières, évoquant avec nostalgie le « bon temps » de la colonisation française en Guinée.

Enfin, il y a les jeunes Peuls qui seront peut-être chefs, dévots, forgerons, agriculteurs,  chasseurs, ou encore commerçants, ingénieurs ou informaticiens. J’espère juste qu’ils ne seront plus tirailleurs…

Destins de Peules

La Guinée est féminine. L’évidence linguistique en langue française est confortée par la légende étymologique guinéenne qui raconte qu’au XVe  siècle, les premiers explorateurs portuguais en terre guinéenne s’entendent dire   « Guiné né mahafé » aux abords des villages traversés, soit « Les femmes se lavent » en langue soussou – les villageoises passant du temps à la rivière pour la lessive familiale et leur hygiène personnelle. Les aventuriers portuguais, peu au fait du soussou, en déduisent que le territoire s’appelle « Guinée ». Le terme né d’une équivoque linguistique aurait ainsi voyagé à travers le temps jusqu’à nos jours.

Si la Guinée est féminine, elle n’épargne guère la gent féminine. Dans la société traditionnelle du Fouta-Djalon, les femmes et les filles n’ont pas la vie dorée: souvent défavorisées en matière de scolarisation, vouées aux lourdes tâches ménagères et agricoles, peu libres de leurs choix matrimoniaux et maternels.

Un soir, une jeune femme d’une quinzaine d’année, mariée par son père à un homme qu’elle a quitté depuis lors pour regagner le foyer familial, s’affaire pendant trois bonnes heures pour nous préparer un plat de fonio à la sauce cacahouète. Je n’en peux plus d’attendre, affamé et mal assis sur une méchante banquette de bois.

« Tu vois combien notre condition de femme africaine est difficile » , me lance-t-elle en me passant un coussin pour soulager mes fesses endolories. Son village compte à peine cinq cases, perdues dans la brousse du Fouta. Après le repas, la jeune femme nous fait écouter sa seule K7 musicale, à la bande sonore en piteux état. Le lendemain à notre départ, elle contient difficilement ses larmes:  «Restez plutôt, au lieu de faire des photos et de partir ».

L’anecdote pourrait se décliner en de multiples variations au fil des rencontres. Mon intention n’est pas d’instruire un mauvais procès de société, mais plutôt de suggérer qu’au-delà des difficultés quotidiennes, l’être humain, la femme en particulier, montre une formidable résilience. Le reste de mon propos est photographique: laissons la beauté des coups d’oeil parler pour elles – les femmes du Fouta-Djalon.

Relations de genre

Et les relations de genre, dans tout cela? Je ne résiste pas à vous livrer deux recettes traditionnelles de stimulation nataliste dans le Fouta-Djalon. Désolé mesdemoiselles, toutes deux s’adressent surtout aux hommes, mais leur équivalent féminin doit exister sûrement. Les feuilles de kenkeliba font apparemment merveille en l’espèce. Consommées en décoction, elles purifient l’organisme,  déconstipent et agissent comme un puissant aphrodisiaque. Elles ont également valeur de philtre d’amour. Les bébés sont traditionnellement baignés de décoction tiède de feuilles de kenkeliba. Pour les garçons, c’est l’assurance d’être aimé de toutes les femmes.

Si le philtre de kenkeliba ne suffisait pas à séduire sa dulcinée, l’amoureux avisé recourt à une poudre à base de lézard à tête jaune. Séchez, puis pilez soigneusement la chair du reptile, mélangez-la à du piment pilé avant de répandre le fin mélange sur le chemin de l’élue de votre coeur: celle-ci tombera à tous coups follement amoureuse de vous.

Un voyage au coeur du Fouta-Djalon ne serait possible sans un délicat travail d’approche et d’introduction sociales effectué par un guide local. Aboubacar s’est révélé aussi bon guide qu’agréable compagnon. En fait, nous sommes voisins à Conakry. Et amis depuis cette expérience commune.

Bien à Vous,

Post-scriptum

Je suis retourné dans mon royaume du Fouta-Djalon en 2010 et 2011, ce que relatent ici (1, 2, 3) trois de mes billets ultérieurs.

 

By Bertrand

Trotting the globe with vision, values and humour