En vol entre l’Europe et Salvador de Bahia, j’ai visionné le film Hotel Woodstock, d’Ang Lee. L’histoire d’un événement musical et pacifiste , tenu en 1969 dans un patelin de l’Etat de New York, qui a drainé sur des champs boueux un demi million de jeunes hippies épris de flower power.
Il n’a pas plu à Bahia durant le carnaval 2010. En revanche, Je n’ai jamais vu autant de monde de ma vie – plus de deux millions de personnes, de source officielle.
Typologie carnavalesque
Si tous les festivaliers à Bahia s’agitent sous le motto “Brinque em paz” (fête en paix), au moins trois carnavals s’y enchevêtrent allègrement dans trois circuits de parade.
Carnaval ‘moderne’
Il y a bien sûr le carnaval “moderne” qui draine les masses grâce aux concerts ambulants de groupes musicaux à la mode, montés sur des camions–scène gigantesques, ceinturés de cordes tenues par des dizaines d’assistants.
Carnaval des grands blocos
Une taille en dessous, le carnaval des grands blocos, comme celui des Fils de Gandhi, et bien d’autres.
Carnaval des petits blocos
Enfin, le carnaval des petits blocos, expression la plus authentique du carnaval puisqu’elle met en scène de nombreuses associations locales ou socioculturelles qui défilent publiquement sans autre ambition que fêter, fêter et encore fêter.
Fier de son essence afro-brésilienne, le carnaval de Bahia n’oublie ni son continent ni le reste du monde. J’y ai rencontré un groupe d’Amérindiens, plus vrais et bien plus pacifiques que dans les westerns spaghettis.
Un petit bloco défile un soir, composé exclusivement de jeunes Asiatiques de culture alternative. Des jeunes filles fines comme des roseaux dictent le rythme sur de hauts et lourds tambours. Les garçons donnent dans les cuivres. Si le groupe séduit par son organisation collective et sa maîtrise rythmique, le déhanché asiatique laisse encore à désirer. Ce sera pour l’édition 2011, peut-être…
Les groupes sont si nombreux que la file d’attente est parfois longue avant de défiler. Mais une fois en piste, leur énergie nous transporte jusqu’aux étoiles. Même le troisème âge n’est pas en reste, jusqu’au bout de ses forces.
Aucune des expressions du carnaval de Bahia ne ressemble aux parades clinquantes de Rio de Janeiro qui, à force de médiatisation, sont devenues hors de prix et d’atteinte pour beaucoup d’habitants de la ville au Pain de sucre.
Des trois formes du carnaval de Bahia, mon œil a préféré les petits blocos, aux formes les plus variées et originales. La plume a privilégié le grand bloco des Fils de Gandhi. L’oreille, elle, a vécu de grands moments lors des concerts ambulants donnés par les stars pop brésiliennes. L’ambiance parmi l’audience des festivaliers était survoltée, indescriptible. Épuisante aussi, pour qui doit composer avec un nouvel environnement culturel et linguistique en maniant un coûteux matériel photographique.
Dans la foule compacte des festivaliers, j’ai joué au guérillero en changeant constamment de position pour ne pas attirer longtemps l’attention. J’ai recherché souvent la protection des postes fixes et des patrouilles de policiers militaires. Je me suis inséré dans des groupes constitués. J’ai gagné la sympathie protectrice de voisinage de circonstance. J’ai renoncé à emporter mon appareil photo lors de mes sorties nocturnes.
On m’a engueulé, poussé, heurté, comprimé, marché sur les pieds, visité les poches, arrosé d’eau, de mousse et d’eau de cologne. Mais j’ai senti l’âme du carnaval de Bahia: j’ai fêté en paix, j’y ai fêté la paix, et j’en suis ravi. Si vous me croisez prochainement, ne vous étonnez donc pas de ma démarche dansante et de mes effluves d’eau de cologne. L’effet carnaval de Bahia, dans tous ses états.
A présent, cap sur la plage pour récupérer…
Bien à Vous,