Gambie – Bouillon de cultures à Kanilai

Kanilai International Cultural Festival

« Montre-moi tes paumes ! » Demba, jeune joueur de djembé (tambour africain), s’exécute fièrement. Au creux de ses mains, une peau de rhinocéros, épaisse et ridée, ornée d’énormes cals à la jointure des articulations. La carapace cutanée orne même ses doigts fins, nerveux et musclés. Hilare, il compare ses rudes outils de musicien africain à mes mains lisses de bureaucrate humanitaire.

J’ai rencontré ce Gambien lors du Kanilai International Cultural Festival, qui se tient depuis quelques années dans le village natal du Président gambien. Deux semaines durant, des dizaines de groupes en provenance de toute l’Afrique de l’Ouest se produisent dans un concours musical, choral, chorégraphique et théâtral. J’ai appris la tenue de ce festival culturel après quelques jours sur le littoral atlantique. Départ le lendemain au grand dam de David, pour qui j’étais l’unique hôte depuis plusieurs semaines.

J’embarque dans un taxi touristique privé pour une cinquantaine de kilomètres, puis dans un guélé guélé (minibus de transport collectif) pour une distance quadruple et un prix 40 fois moindre. L’illustration parfaite de la logique économique schizophrénique qui caractérise souvent un voyage touristique dans un pays moins avancé.

A destination, le village de Kanilai est bondé de festivaliers – artistes, badauds, commerçants, officiels. Les quelques hôtels de la place sont pleins, évidemment. On me déniche dans une maison privée une moitié de matelas posé à même le sol, à partager avec un inconnu. Un luxe local, car la plupart des visiteurs locaux s’entassent pêle-mêle sur des matelas à la belle étoile.

L’accueil est exquis. Je reçois jusqu’à cinq invitations pour le même repas. Je tente de contenter tout le monde sans fâcher trop mon modeste estomac. Ces rencontres fortuites et sympathiques m’occupent jusqu’au soir. Car nous sommes en Afrique. Car les artistes sont fatigués de leurs prestations de la longue nuit précédente. Car le soleil est implacable, même pour les organismes nés sous les Tropiques.

Le festival prend vie sur le lit de mort du jour. Les groupes d’artistes costumés surgissent simultanément de toutes parts, sans concertation apparente, pour converger vers le stade de football reconverti en place de spectacles.

Les artistes arborent des costumes, des instruments de musique et d’autres accessoires dont l’originalité et la beauté laissent pantois. J’hésite entre la contemplation béate du touriste et l’empressement maladif du paparazzi. La nuit tombe déjà. Je croque quelques scènes d’anthologie avant la lumière crue des projecteurs et le début du concours.

C’est alors que je rencontre Demba, le joueur de djembé. Il me présente à son groupe musical, m’explique sa culture, sa fierté de musicien griot, ses espoirs et ses soucis. Surnommée feu et vêtue conséquemment de rouge, une femme de son groupe est connue loin à la ronde pour ses transes qui la font bouillonner de l’intérieur, au point de « frire un œuf cassé sur son ventre ». Je vous conseille de le croire sur parole, comme moi.

Un peu plus loin, un autre groupe de musiciens et de danseurs se retire soudain dans les ténèbres de la forêt avoisinante pour y réaliser un rituel secret avant leur production publique. Tout au long de la soirée, Demba décode pour moi les productions qui se succèdent au milieu de la pelouse.

Ma mémoire se délecte encore d’une danse de la moisson de l’ethnie jola, animée par un solo extraordinaire d’un danseur intégralement recouvert de longues herbes sèches. La prestation d’un groupe malien que j’avais photographié précédemment lors de sa mise en voix, déclenche les hourras de la foule.

La production d’un groupe peul me rappelle la proximité de la Guinée. Ses membres s’asseyent ensuite à nos côtés. Je risque quelques mots de poular (langue peulle) qui brisent la glace. La discussion s’engage, animée. Une photo clôt heureusement la rencontre.

Beaucoup plus tard, Demba m’emmène dans la cour de la maison qui l’héberge. Nuit après nuit, à la conclusion du programme officiel, les nombreux artistes logés dans la maison ébranlent de leurs musiques, de leurs chants et de leurs danses les quelques heures avant l’aube. Cette nuit, Demba mène le groupe de batteurs avec une énergie stupéfiante. Vaincu par le sommeil, je prends congé avant la pointe du jour.

J’ai passé seulement un  jour dans ce lieu, mais j’y ai vécu mille ans. Voyage sidérant dans un bouillon de cultures. Voyage sidéral à travers le temps et l’espace. Un vrai voyage.

Bien à Vous,

By Bertrand

Trotting the globe with vision, values and humour