Que vaut en Europe un djembé fabriqué en Guinée ? Le verdict d’eBay, consulté hier, est implacable : six misérables euros, et encore s’agit-il de la plus généreuse des sept offres d’achat. Certes, l’instrument acheté voici dix ans à Conakry est aphone, puisque sa peau est déchirée. Ce n’est pas d’avoir trop chanté, car son propriétaire l’a utilisé uniquement comme décoration d’intérieur.
Indigné par ce bradage, je recherche à Conakry le géniteur et les frères de sang du djembé mutilé. Devant l’atelier, des dizaines d’instruments fraîchement terminés sèchent au soleil. La silhouette pleine et généreuse, la peau zébrée et tendue à bloc, le torse vêtu d’un élégant treillis noir, le bas du corps orné de scarifications rituelles, le pied confortablement chaussé de caoutchouc. Éclatants de santé, impatients de rouler les sons et leur bosse sous la frappe de mains expertes ou même débutantes.
Sous l’ombre inégale d’un auvent végétal, une poignée de batteurs secoue la torpeur de l’après-midi dominicale. Je m’approche, salue d’un geste et d’un sourire, puis croque à la volée les sons à travers les gestes et les émotions.
La djembé session s’interrompt. A ma demande, l’un des batteurs s’identifie comme l’artisan des tambours. Mamadou est simple et bourru, au verbe hésitant mais sincère. Il me présente ses amis, réunis avec lui par la simple joie de faire vibrer les entrailles des instruments avant qu’ils ne s’égaillent à travers la Guinée et le monde.
Mamadou m’ouvre la porte de son atelier. Modeste pièce sans fenêtre dont les quatre murs sont tapissés jusqu’au plafond de djembés en cours de fabrication. Autour d’un thé, il m’explique que son père fabriquait des djembés, et que lui et l’un de ses frères perpétuent la tradition familiale. Et qu’il ne pourrait envisager d’autre métier que le sien. Même s’il travaille tous les jours de la semaine sans faire fortune. Même s’il dort sur un méchant matelas posé à même le sol dans son atelier, de peur qu’une intrusion nocturne ne lui subtilise l’un de ses fils.
L’artisan musicien approche deux djembés et initie ma première leçon particulière. Malgré ma formation musicale, je peine à suivre le rythme et plus encore à créer un son plein et vigoureux. Après quelques minutes laborieuses surgit un jeune garçon au visage d’ange. Je lui cède aussitôt l’instrument : « Vous musiciens et moi photographe », leur dis-je. Mamadou acquiesce d’un sourire et continue à tout rompre la djembé session à quatre mains.
Le jeune musicien tricote les rythmes avec une aisance déconcertante. Normal, il est le fils d’un célèbre batteur. Mais je sens aussi et surtout combien le djembé parle au plus profond de son âme.
Porte-parole culturel, le djembé mérite mieux que de jouer au pot à fleurs éventré, avant sa vente aux enchères et au rabais sur la Toile.
Bien à Vous,