Grèce – Anafi, jardin d’Eden

Hospitalité grecque

La montée vers le village est rude. La route serpente entre les vallons avoisinants, comme hésitant sur le tracé à emprunter, avant de se lancer à l’assaut de la pente escarpée. A l’entour, personne. L’île d’Anafi située dans les Cyclades est faiblement peuplée ; ses habitants se concentrent dans le village plus haut.

J’avale d’un bon pas les premiers hectomètres et lacets, avant qu’un bruit de moteur ne me détourne la tête. Au loin, un paysan s’approche au guidon d’un quad – moto tout-terrain à quatre roues. Un bon grand-papy qui se rend au marché villageois pour y écouler sa production maraîchère.

A ma hauteur, le vieil homme me salue d’un geste de la main, puis stoppe brusquement son quad et m’invite à y monter. J’accepte l’invitation par politesse, même si je préférerais poursuivre ma marche. Le grand-papy descend péniblement de son engin, le renfourche une fois que je sois installé à l’arrière. Son démarrage sur les chapeaux de roue m’arrache ma casquette, toute neuve mais surtout indispensable sous l’ardent soleil de la mer Egée.

Je tente de stopper mon valeureux conducteur, en vain. Le grand-papy ne m’entend pas – il ne me comprendrait pas non plus vu je ne parle pas grec –, pas plus qu’il ne réagit à mes tapes sur l’épaule. Il poursuit imperturbablement son chemin jusqu’au village, stoppe sur la place avant de m’adresser un chaleureux sourire. Faisant bonne figure, je le remercie longuement.

Mon chauffeur philanthrope quitte subitement les lieux avant que je ne le photographie. Il ne me reste plus qu’à redescendre à pied la route avalée en quad. Je retrouve ma casquette sur la route au bas de la colline, puis reprends mon ascension pédestre jusqu’au village. Voilà mon baptême de quad.

Anafi

J’étais arrivé sur cette petite île deux jours auparavant, en quête d’une Grèce plus authentique. J’ai trouvé globalement ce que je cherchais, avec quelques mais et points d’interrogation.

Comme Oia, le village perché sur son roc offre un panorama imprenable. Par contre, il est franc de la kyrielle de marchands du temple cinq étoiles qui encombrent Oia. De belles bâtisses traditionnelles, sans luxe mais non sans charme. Quelques infrastructures et services touristiques, déjà en surnombre au vu de la poignée de visiteurs durant mon séjour.

Aux alentours de la bourgade, l’incontournable moulin à grain et le port maritime. Ceux-ci ne sont bien davantage que de simples décorums touristiques. Le port relie quelques fois par semaine l’île aux autres confettis des Cyclades, alors qu’un modeste hélipad répond aux situations d’urgence.

Des jours durant, j’ai parcouru l’île pour y dénicher les petits coins et les gens mémorables. L’île témoigne d’une vie rurale, simple et rude, mais belle. Les signes de l’exode rural abondent : des dizaines de bâtisses à l’abandon, des hectares de champs en friche. Peu d’habitants vivent hors du village. La vie paysanne attire visiblement peu les jeunes générations.

Les îliens qui résistent à l’exode relient autant que possible leurs activités traditionnelles à de nouveaux secteurs économiques, tels le tourisme. De son côté, l’Etat grec rénove et développe le réseau routier de l’île pour le bénéfice de je ne sais trop qui.

L’île est célèbre pour un monastère orthodoxe – inhabité aujourd’hui également – perché sur le plus haut éperon rocheux de l’espace méditerranéen. Vous ne le verrez pas ici, car mes chaussures ont rendu l’âme avant d’y parvenir, laminées par le basalte volcanique. L’excursion m’a toutefois fait découvrir de belles plages où se commémore le jardin d’Eden…

J’oubliais : j’ai rencontré sur l’île comme prévu mon Dieu grec. Il m’attendait, d’abord en tant qu’Apollon, le Dieu de la musique et des arts.

Un samedi soir, je dégustais un ouzo à la terrasse du bistrot de la place du village. A une table voisine, un petit homme râblé sort d’un sac un tsambouna et un tambourin. Sorte de petite cornemuse, la tsambouna est constitué d’une peau de chèvre cousue hermétiquement, munie d’un côté d’un fin embout à anche, à l’opposé d’une corne de chèvre percée de trous comme une flûte. La tsambouna touche à la quintessence de la culture égéenne. Le paysan égéen élève soigneusement la bête qu’il sacrifie ensuite pour confectionner son instrument musical.

Sur la place donc, le petit homme râblé embouche la sambouna, alors que son voisin martèle le tambourin. En quelques minutes, la moitié de l’audience danse allègrement sur la place. Un beau moment à vivre.

Tous les soirs, j’ai admiré également les ultimes rayons diurnes de Phébus. Plutôt que d’illustrer ici son embrasement crépusculaire, je préfère vous présenter sa petit cousine, la Lune. Comme en Thaïlande, l’astre de mon ami Pierrot m’a en effet guigné et nargué, jour après jour, de jour comme de nuit.

Pour de nombreux visiteurs, l’île d’Anafi est paradisiaque. Pourtant, de nombreux habitants sont partis chercher la lune ailleurs. Elle se trouve là, chez eux, pour eux – dans leur jardin d’Eden.

Bien à Vous,

By Bertrand

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