Grèce – Santorin – La bouderie de Phébus

Je me suis rendu récemment en Grèce. Pas pour vous relater la crise de la dette souveraine hellène, car la presse internationale l’a fait jusqu’à la nausée durant tout l’été. Plutôt, une envie irrésistible de célébrer le blanc azuré des Cyclades, de battre les sentiers de chèvres, de déguster une moussaka à l’huile d’olive, après un apéritif anisé.

Santorin

L’idée m’était venue en Thaïlande, à la lecture en ligne d’un reportage photo consacré à l’île de Santorin. Faute de temps, ma découverte des Cyclades en 1985 n’avait pas inclus Santorin. Bon plan, sinon qu’il est de notoriété internationale. En ce début de saison touristique, il a fallu donc ruser et me démarquer, choisir soigneusement les lieux et les moments.

En Grèce plus que partout ailleurs, la sérénité appartient aux lève-tôt. A six heures du matin, l’aéroport de Santorin est léthargique, loin du chaos décrit par les guides touristiques. Une petite heure et deux bus plus tard, j’atteins déjà ma destination – le village d’Oia.

Oia

Oia s’étend sur une cheminée (caldera) d’un volcan éteint et partiellement immergé. Une fois sur la crête, je reste bouche bée, étourdi, ébloui, sans souffle ni jambes.

Drapé ci et là encore d’ombres nocturnes, l’océan de lumière submerge rapidement les falaises volcaniques pour inonder le sommet de la caldeira. La clarté immaculée conquiert sans peine chaque mur, ruelle et recoin du village, malgré sa topographie biscornue.

Seuls les Dieux de l’Olympe ont pu créer la perle d’Oia et la sertir dans son écrin minéral. Les hommes, eux, se sont bornés à multiplier les lieux de culte pour leur rendre hommage. Eglises, chapelles, tombeaux et croix jalonnent ainsi le pourtour de la cheminée volcanique.

Après l’étourdissement initial, je reprends peu à peu mes esprits, tenaillé par la faim et le manque de sommeil. Après le petit-déjeuner, je décroche un toit dans un lieu idyllique, perché sur le flanc du cratère entre le petit port et le moulin à grain.

Ma chambre est située aux avant-postes pour admirer le coucher du soleil. Car selon tous les guides touristiques, on contemple à Oia les plus beaux couchers de soleil des Cyclades. Je n’en ai cure pour l’instant : dormir.

A la mi-journée, le village s’est métamorphosé en une vaste boutique de souvenirs hétéroclites, au sol battu par des milliers de semelles en goguette. Une lumière aveuglante règne en maître après avoir dépecé les derniers lambeaux obscurs. Je cherche les quelques coins boudés du Dieu du tourisme.

J’ai passé trois nuits à Oia et apprécié aucun coucher de soleil digne d’une seule photo. Le spectacle était plutôt sociologique et sonore. Au coucher du soleil, les flots de visiteurs convergent vers les points de vue identifiés par les guides touristiques. Une faune bigarrée, dont de nombreux couples de jeunes Asiatiques fortunés.

Malgré la bouderie évidente du dieu solaire Phébus derrière ses nuages, les visiteurs se disputent les meilleures places, préparent soigneusement leur barda photographique, patientent des heures durant, s’obstinent à traquer et à mitrailler la moindre lueur orangée dans le ciel.

En contrebas, un superbe voilier, réplique d’une frégate du XIXème siècle tire des bords, chargée de touristes venus également admirer le crépuscule. A son bord, un saxophoniste talentueux régale la cantonade, et par ricochet tout le village. Bientôt rejoint par des voix de touristes dans le village, un chœur improvisé célèbre l’anniversaire d’un passager. Beau moment, mais qui ne remplace pas l’embrasement fauve d’un beau coucher de soleil.

Quoique. En fait dans la mythologie grecque, Phébus n’est autre qu’Apollon – le Dieu de la musique et des arts. Phébus absent du ciel, les hommes l’ont trouvé à leur insu en célébrant Apollon.

Au petit matin, je quitte Oia. Le village est encore endormi et vierge de tourisme de masse. Un homme rafraîchit la blancheur laiteuse de la perle santorinienne. Une vieille se rend à l’église, où le pope dialogue avec les Dieux en tricotant avec ses cloches.

J’ai trouvé Oia magnifique, mais trop léché avec sa floraison d’hôtels de luxe, de terrasses, de boutiques et de spas. Une Grèce qui n’a jamais existé, sinon dans l’esprit de ses promoteurs immobiliers.

Les Dieux de l’Olympe regrettent regrettent comme moi l’évolution récente d’Oia, d’où la bouderie crépusculaire de Phébus durant mon séjour. N’importe, j’ai pris rendez-vous avec Apollon/Phébus ailleurs dans les Cyclades.

Bien à  Vous,

By Bertrand

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