Porte de Damas
J’approche la vénérable muraille qui ceinture le vieux Jérusalem par la Porte de Damas. La vue m’intrigue par sa familiarité. Je réalise alors que la photographie ancienne libellée « La Porte de Damas en 1920 » que j’ai trouvée dans mon appartement à Amman représente Jérusalem, et non Damas. J’habite donc depuis six mois la ville sainte à mon insu.
Jérusalem figurait depuis longtemps dans mes projets de voyage. Sa proximité géographique d’Amman et mon récent voyage à Lalibela en Ethiopie m’ont décidé. Pour mémoire, le roi Lalibela a creusé aux XIIe et XIIIe siècles onze églises minérales pour faire de sa ville capitale éponyme une nouvelle Jérusalem chrétienne. Dans sa jeunesse, Lalibela séjourne à Jérusalem alors sous domination chrétienne, avant que les armées musulmanes de Saladin ne boutent en 1187 les Croisés hors de la ville sainte et de la Palestine.
Comme la Palestine est une terre trop promise, Jérusalem est une ville trop sainte. Elle est sacrée pour les trois religions monothéistes – le judaïsme, le christianisme et l’islam. Carrefour de mondes, Jérusalem ne nourrit guère d’ambition syncrétique. Ses composantes culturelles cohabitent davantage qu’elles ne fusionnent.
Aujourd’hui encore, la vieille ville de Jérusalem cristallise d’énormes enjeux politico-religieux. Elle foisonne de monuments et de symboles religieux. Elle est l’épicentre des guerres israélo-arabes de 1948 et 1967. Jérusalem-Ouest constitue la capitale de l’Etat israélien depuis 1949, alors que l’Autorité palestinienne entend faire de même avec Jérusalem-Est.
A Jérusalem, tout ce qui brille est or. Dans la forêt dense de clochers et de coupoles qui ombrage le vieux Jérusalem, se détache immanquablement le Dôme du Rocher. Le Dôme doré est situé sur l’Esplanade des Mosquées (Haram Ash-Sharif) aux côtés de la mosquée Al-Aqsa. Il contient une pierre sacrée tant pour les Musulmans que pour les Juifs. Ces derniers dénomment ce site le mont du Temple, que Juifs et Chrétiens assimilent au Mont Moriah biblique. C’est là que je débute ma visite.
Du quartier chrétien où je réside, je rejoins et traverse le quartier musulman. L’atmosphère est dense, mais sans lourdeur. Arabes et Juifs, jeunes et moins jeunes, jouent des coudes sans gêne ni tension notoire. Les ruelles étroites résonnent aux cris des vendeurs en quête de chalands. Peut-être s’agit-il des descendants des marchands chassés naguère de l’Esplanade du Temple juif par la colère de Jésus.
Etourdi par la promiscuité et saisi par le froid hivernal, je me laisse aguicher par un thé dans un vénérable troquet. La clientèle, exclusivement musulmane, m’observe puis m’oublie. Ses murs tentent de m’introduire à leurs histoires, mais mon esprit est ailleurs. Je déguste mon thé, bercé par la musique des conversations et le brouillard fumeux et aromatisé distillé par les narguilés. Charmé par le lieu, je me promets d’y revenir. Malgré mes quatre jours de pérégrinations entêtées, je n’ai jamais retrouvé ce bar à thé dans l’embrouillamini inextricable du quartier musulman.
Jérusalem est pleine de règles et de frontières invisibles qui s’imposent même au visiteur d’un jour. A l’approche de l’Esplanade, des policiers me refoulent sans ménagement. Les personnes non musulmanes n’y ont pas accès le vendredi, jour de prière hebdomadaire. Ce sera pareil le lendemain, pour une raison que j’ignore. N’importe, j’arpente les ruelles, visite d’autres sites historiques.
Esplanade des Mosquées/mosquée Al-Aqsa
Le dimanche matin, je me rends à l’unique porte conduisant à l’Esplanade des Mosquées qui soit ouverte aux visiteurs non musulmans. Deux cents mètres de file d’attente me convainquent de revenir le lendemain. A la première heure et sous une bise glaciale, je compte parmi les premiers à pénétrer sur l’Esplanade.
Jérusalem représente le troisième lieu saint de l’islam sunnite, après La Mecque et Médine. Selon le Coran, c’est sur le site de l’actuelle Esplanade des Mosquées que Dieu teste la foi d’Abraham en lui exigeant le sacrifice de son propre fils. Après un voyage nocturne depuis la Mecque (Isra), le prophète Mahomet prie dans la mosquée Al-Aqsa avec d’autres prophètes dont Moïse et Jésus, avant de rejoindre les sept cieux (Miraj) à partir du Rocher sacré.
A cette heure matinale d’un jour ordinaire, l’Esplanade est presque déserte. L’impression visuelle est superbe, embellie encore par une lumière d’immédiat après-pluie. Comme tous les étudiantes du monde, des jeunes filles musulmanes se rendent en ordre disparate, le nez dans leurs livres et dans leurs notes de cours, à l’école coranique située dans l’enceinte sacrée.
Le Dôme du Rocher est construit au VIIe siècle, après la première conquête musulmane de Jérusalem en 638. Il célèbre la victoire politico-militaire de la dynastie de son commanditaire musulman face à la chrétienté qui dominait alors Jérusalem. La coupole dorée affirme par ailleurs la brillance de l’islam face au christianisme et sa continuité par rapport au judaïsme.Car l’Esplanade des Mosquée est bâtie sur l’emplacement des deux Temples juifs successifs. Elle sacralise à nouveau les ruines juives que les Chrétiens avaient négligé pour mieux dévaloriser le judaïsme. Mais elle prévient aussi la reconstruction d’un nouveau Temple juif sur les fondations de ses ancêtres.Le sacrosaint chassé-croisé se poursuit au cours des siècles. Les Croisés du XIIe siècle transforment le dôme du Rocher en une église, la mosquée Al-Aqsa en un palais pour leur aristocratie militaire. Les deux édifices sont rendus au culte musulman par Saladin en 1187 suite à sa conquête de Jérusalem.
Quartier musulman
Au sortir de l’Esplanade, je me laisse glisser, extatique et sans but précis, dans le quartier musulman. La foule glisse souplement autour de moi, presque comme indifférente à ma présence. Le dôme du Rocher me suit partout, me guette et me hante.
Porte des Lions
Presque sans prêter garder, je franchis la Porte des Lions. Une litanie de tombes musulmane jalonne l’extérieur de la muraille. L’endroit est privilégié pour attendre le jour J. Pour les Musulmans, Jérusalem constitue le lieu de la Résurrection des morts et du Jugement dernier. Même les vivants l’attendent pieusement.
Bien à Vous,