Oman – Nomadisme marin

Tortues marines

« Non, pas de place sans réservation. La visite de neuf heures ce soir est complète. Repassez demain matin à quatre heures. Peut-être profiterez-vous d’un désistement de dernière minute. »

Après quelques heures de mauvais sommeil dans ma voiture de location, je regagne en hâte le site officiel de visite des tortues vertes, sur une plage omanaise située à la pointe orientale de la péninsule arabique. Le long filet côtier est prisé par cette espèce de reptiles marins pour y assurer sa reproduction.

C’est mon jour de chance : le guide m’inclut finalement dans l’un des deux groupes de visiteurs. Sous sa houlette moins scientifique que militaire, nous nous rendons sur la plage de sable voisine à la lueur des lampes de poche. Les premières lueurs sont superbes, irréelles. J’en oublie presque les tortues.

Non, là, sur le sable s’agite un bébé tortue, minuscule, vulnérable. « Deux mois », décrète le guide. « Après deux mois d’incubation, il est nouveau-né. Pour vivre, il doit se lancer à la mer. » Je lui souhaite de tout cœur une très bonne chance, sans m’enquérir sur ses chances statistiques de survie.

Seules les tortues vertes femelles accostent le rivage ; les mâles préfèrent l’élément liquide. Fait stupéfiant, ces dames reviennent pondre tous les trois ans leur centaine d’œufs sur la plage qui les a vu naître, malgré leur nomadisme marin qui les emmènent parfois jusqu’aux côtes australiennes.

Les tortues vertes ont la ponte délicate, dérangées par toute sonorité ou lumière intempestives. D’où la discipline quasi militaire de notre visite. On les comprend aussi, car les salles d’accouchement de nos hôpitaux ne sont guère publiques.

Ah, j’oubliais : ces dames ne pondent que nuitamment, avant de regagner avant l’aube leur monde aquatique à la lumière réfléchie des étoiles sur le sable. Oui, ces mères seraient indignes si elles ne creusaient pas leur nid dans un site protégé de la marée haute et si elles ne recouvraient pas leur ponte de sable avant de reprendre la mer. Les rejetons se lanceront à l’eau deux mois plus tard s’ils auront survécu à cette étape cruciale de leur existence.

Et le sexe des petits anges ? Il est fonction de la température du sol. Les œufs enfouis le plus profondément dans le sable donnent des femelles, ceux plus proches de la surface des mâles.

A la lumière caressante de l’aube, la plage révèle de complexes arabesques tracées par le lent cheminement nocturne des tortues. Pas de traces d’engins à chenilles ni des pas de Martiens descendus d’une soucoupe volante. Des tortues.

Mer et marins

La terre d’Oman est d’abord la mer d’Oman et, au-delà, l’océan Indien. La capitale Mascate jouit du plus grand port naturel au monde, ce qui constitue un bon début. Oman a produit de fameux marins qui ont guidé notamment les premiers navires occidentaux vers le sous-continent indien et l’Asie orientale. Au VIIIe siècle déjà, un navire omanais atteint le port de Canton en mer de Chine.

Oman a aussi reçu de célèbres explorateurs en provenance de l’Orient. A la tête d’une flotte d’exploration de l’océan Indien pour le compte de l’empereur mongol Koubilaï Khan, le Vénitien Marco Polo remonte en 1292 la côte orientale omanaise en provenance d’Aden au Yémen. Parti de Chine l’année précédente, il fait escale dans le port de Qalhat, non loin de Sur, avant de rentrer en Chine en empruntant le détroit d’Ormuz.

L’habileté des marins omanais favorise aussi l’essor du commerce et du sultanat omanais le long du littoral africain jusqu’à Zanzibar. L’apogée du rayonnement international d’Oman entre les XVIe et XIXe siècles se fonde également sur la traite des esclaves d’Afrique subsaharienne.

Le vieil homme rencontré quelques heures plus tard dans un petit village de pêcheurs est visiblement un ancien marin. Son regard scrute l’horizon d’un œil de connaisseur. Il m’explique par gestes que s’il ne prend plus la mer, il la vit néanmoins tous les jours avec passion depuis la côte. D’autres pêcheurs plus jeunes ont pris la relève, assurément.

Dhow  omanais

J’adore les bateaux. Les voir même en rade me fait voyager et rêver. Les navires traditionnels omanais, les dhows, sont bâtis magnifiquement en bois, assemblés sans un clou, munis de voiles. Des galions, dans mon vocabulaire de néophyte né dans un pays sans accès direct à la mer. Si les dhows contemporains ne sont plus mûs par Eole, leurs formes restent séduisantes.

Un chantier naval situé dans la ville portuaire de Sur construit toujours de magnifiques voiliers traditionnels omanais. J’y trouve deux ghanjah, la mouture locale de dhow qui a fait ses preuves dans la navigation commerciale au long cours. Je conjecture sur sa première destination : Karachi, Bombay, Canton, Mombasa, Lamu, ou encore Zanzibar ?

Un peu plus loin, des enfants fourbissent leur premier dhow. Esquif de pacotille qui ne voguera assurément pas au-delà du port, mais qui calmera pour l’instant leurs ardeurs marines. A l’ombre d’une masure sur la plage, un pêcheur se repose de sa sortie nocturne. Lui connaît la mer d’Oman, la beauté mordorée de l’aube brumeuse, le soleil qui règne en assassin sur le jour, les coups de vent, les embruns et les tempêtes, les compagnons disparus en mer.

Le délicieux port de Sur respire l’ouverture sereine vers le milieu marin. J’y aurais volontiers goûté à une longue escale dans ma navigation au long cours. Comme les tortues vertes nées sur le littoral omanais, j’y retournerai – avec ou sans projet reproductif.

Bien à vous,

By Bertrand

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