J’ai encore une vieille et belle histoire à vous raconter, reprise des textes sacrés des trois religions monothéistes.
L’appel d’Abraham
Voici bientôt 4’000 ans, Abraham, originaire de Sanliurfa (Turquie) ou peut-être même d’Ur (Iraq), reçoit une injonction divine. Agé de 75 ans, le patriarche et sa famille quittent Harran (Turquie) pour Shechem, dans l’actuel West Bank palestinien. La famille reprend la route jusqu’en Egypte avant de rallier Jéricho, Jérusalem, puis enfin Hébron. Epuisant périple. Pas pour Abraham, qui s’éteint à Hébron à l’âge respectable de 175 ans.
Abraham fait figure de père des trois religions monothéistes, et à travers elles, d’une bonne moitié de l’humanité. Le judaïsme, le christianisme et l’islam n’ont pas seulement retenu d’Abraham son infatigable nomadisme, mais aussi son exemplarité en matière d’ouverture, de tolérance et de paix.
Le chemin d’Abraham
A l’initiative d’un célèbre anthropologue et médiateur étasunien, un itinéraire pédestre retrace désormais le périple d’Abraham et cultive les valeurs qu’on lui prête. Le chemin d’Abraham débute logiquement à Harran, traverse la Syrie, court dans le nord de la Jordanie avant de traverser le Jourdain pour terminer à Hébron.
Pour son auteur, cheminer sur les pas d’Abraham au Moyen-Orient, c’est aussi retracer l’histoire d’une splendide mosaïque culturelle et confessionnelle dont l’unité prévaut sur les divisions. C’est surtout cultiver l’hospitalité et la convivialité qui sous-tendent traditionnellement ces sociétés malgré leurs dissensions. Ce tourisme léger et éclairé permet également de soutenir économiquement les communautés rurales rencontrées.
J’ai parcouru à pied et par modestes étapes une partie de la section jordanienne du chemin d’Abraham, de Yarmouk à la frontière syrienne jusqu’à Ajloun au nord d’Amman. Si je n’ai bien sûr pas rencontré Abraham, j’ai senti son empreinte sur le pays et ses gens. En voici un aperçu.
Gadara
Les ruines romaines de Gadara près de la ville frontalière d’Umm Qais rappellent l’emplacement stratégique du site historique. A l’ouest et en contrebas, le lac de Tibériade (Israël). Au nord, le haut plateau du Golan (occupé par Israël). Vers l’est, la profonde vallée creusée par la rivière Yarmouk délimite la frontière jordano-syrienne.
La poésie minérale de Gadara m’inspire davantage que son intérêt géostratégique. Le site est vaste et aéré, franc de grandes constructions et de masses humaines. On s’y sent léger, serein. Des moignons de colonnades, vestiges d’une basilique romaine, soutiennent désormais les pompons neigeux de la voûte céleste.
Gadara est davantage qu’un site archéologique. On y vient en famille pour y passer sa journée de villégiature. A proximité de la basilique romaine, des jeunes s’affairent à assembler un vélo, aidés par les prières de leur père musulman.
Une fois monté, le vélo rutilant fait le bonheur et l’orgueil de son jeune propriétaire qui parade sur les longues allées dallées du site. Bien pour lui. Pour ma part, je continue à pied – là où son vélo n’ira pas – pour mieux apprécier la mosaïque culturelle et confessionnelle moyen-orientale.
Marcher repositionne l’humain dans son environnement naturel. Humecté par les pluies hivernales, le sol se drape de vert tendre d’une luminosité irréelle. Marcher rapproche les gens. De magnifiques heures passées en bonne compagnie. Des rencontres aisées et chaleureuses avec les gens du crû.
Pella
Après une dernière montée, on y est.
Pella est probablement une référence hellène au lieu de naissance d’Alexandre le Grand. Le site historique a connu une présence humaine continue depuis au moins dix millénaires. Dans le siècle précédant notre ère, les Romains succèdent aux Hellènes, développent la cité, construisent des bains thermaux et plusieurs églises byzantines romaines. Non loin, une mosquée veille sur la tombe d’un compagnon du prophète Mohammed tombé sur le champ de bataille au VIIe siècle.
Lustré par le crépuscule, le site paraît intemporel, figé bienheureusement dans une grandeur passée. Jadis prospère, aujourd’hui ruinée, la cité conserve son élégance mâtinée de douceur campagnarde.
Le chemin d’Abraham poursuit son errance vers le sud à travers la topographie vallonnée. Des cultures d’olivier à perte de vue. Certains oliviers, vieux comme Mathusalem, ont certainement aperçu Abraham.
Il arrive que l’hospitalité locale soit très bien gardée. Huit mâchoires de crocs en l’occurrence. Après un long et savant conciliabule, je les convainc de mes bonnes intentions. Du reste, ces bons mâles se montrent davantage intéressés par la gent féminine qui m’accompagne.
Reste à convaincre les hommes. Celui-ci détonne sa pétoire pour se donner de la contenance. Comme je reste à distance respectable de sa famille, il se laisse ensuite amadouer sans trop de peine.
Mar Elias
Située non loin d’Ajloun, Mar Elias est une colline parmi tant d’autres en Jordanie. Elle est nommée en l’honneur du prophète Elias, natif de la région. A son sommet, un arbre à prières relaie inlassablement le dialogue des fidèles musulman avec le Divin.
Mar Elias recèle également les vestiges de l’une des plus grandes églises byzantines romaines du pays. De délicates mosaïques minérales tapissent le parterre des ruines, laissées à ciel ouvert suite à l’effondrement du toit des édifices. Situation esthétiquement plaisante pour les photographes, moins réjouissante probablement pour les archéologues.
Ajloun
Ajloun, c’est d’abord une magnifique région boisée, définie comme réserve naturelle. On y trouve une multitude de pins et autres conifères, beaucoup de chênes, mais aussi ce curieux arbousier grec (arbousier de Chypre, strawberry tree, arbatus andrachne) dont l’écorce couleur pistache vire graduellement à un magnifique rouge Sienne.
Ajloun est avant tout une région où les habitants vivent en bonne harmonie avec leur milieu, conscients de sa fragilité. La vie rurale fait encore bonne place aux techniques ancestrales. Ces scènes champêtres confèrent une douce saveur au randonneur sur le chemin d’Abraham.
Ajloun, c’est aussi une célèbre forteresse construite par un neveu de Saladin au XIIIe siècle, dans le but de contenir les armées croisées stationnées proche du lac de Tibériade et à Kerak dans le sud de la Jordanie. Le fort a moins souffert du glaive et du feu des hommes que d’un double tremblement de terre qui a dévasté l’édifice aux XIXe et XXe siècles.
Voilà pour mon bout de chemin d’Abraham. Si je n’ai parcouru qu’une modeste portion du périple moyen-oriental du patriarche, j’ai goûté à la complexité culturelle du nord de la Jordanie, rencontré un bon nombre de ses habitants, accumulé nombre de ces micro expériences qui façonnent une vie riche et bien remplie.
Si vous souhaitez vous aussi emprunter le chemin d’Abraham en Jordanie ou le prolonger vers le sud du Royaume le long du Jordan Trail, voici une bonne adresse. Comme suggéré, le lunch est inclus dans les prestations du guide.
Bien à Vous,