Jordanie – Sacré bonhomme

Mon dernier billet vous a laissé avec une ambiance hivernale et festive, froide et chaude à la fois. Les frimas hivernaux et les fêtes de fin d’année incitent naturellement les gens à se calfeutrer chez eux et à resserrer leurs liens familiaux et amicaux.

Amman enneigée

Amman enneigée paraît une vue de l’esprit, une oeuvre de carton-pâte ou de maître pâtissier. Et pourtant non. Amman n’est bien évidemment ni le grand Nord canadien ni la Sibérie, mais elle a connu ces derniers jours la visite annoncée de la neige. J’ai bien compté une dizaine de centimètres de poudre immaculée sur ma terrasse.

Rien d’insignifiant en l’occurrence. Amman et le pays tout entier se sont retrouvés paralysés au point que les autorités jordaniennes ont décrété deux jours de congé sur l’ensemble du territoire national.

Amman compte davantage de collines que Rome. Ses routes ne s’embarrassent guère de multiples lacets pour adoucir les déclivités. Ajoutez une inexpérience générique de la conduite sur la neige et l’absence de services publics de déneigement.

Ces jours de neige ont donné une ambiance inhabituelle à la ville, usuellement vibrante de lourd trafic automobile. Je n’ai jamais vu autant de monde marcher et batifoler dans les rues, affairé à fouler la pellicule neigeuse ou engagé dans de féroces batailles de boules de neige.

Tous ne se sont pas amusés. Les petites gens, bien sûr, mais aussi les animaux vivant en marge des nantis. Proche de mon immeuble, un chat de gouttière peine à débusquer sa pitance, les pattes dans le cambouis neigeux.

Bonhommes de neige

Dans l’après-midi, la fête bat son plein dans mon quartier, d’habitude bien sage. Elle comporte pour hôte d’honneur le bonhomme de neige.

Le bonhomme de neige a ses légendes et son histoire, ses passionnés et ses historiens. Ephémère, il traverse pourtant les époques et les continents pour s’ancrer dans diverses croyances et traditions.

Les premiers bonhommes de neige auraient été créés voici 30’000 ans, symbolisant probablement la résilience et la relative prospérité des communautés qui les ont façonnés. Il y a 2’500 ans, les communautés villageoises de l’actuelle Russie réalisaient des bonhommes de neige pour conjurer la menace du yéti sibérien.

Dans les pays d’Europe du Nord, la légende veut que les couples sans enfants façonnent un bonhomme de neige. La sculpture immaculée prend vie et égaie la saison hivernale du couple, avant de disparaître au printemps. Il réapparaîtra l’hiver suivant pour peu que le couple façonne à nouveau son bonhomme de neige.

L’Amérique du Nord célèbre Frosty the Snowman, son interprétation du personnage mythique européen. Partout dans la chrétienté, le bonhomme accompagne et agrémente la Nativité et de la période festive de fin d’année, la dotant d’une touche de créativité et d’imaginaire.

En Jordanie, le bonhomme de neige emprunte à la bonhomie ouatinée de la période hivernale et festive en Europe et en Amérique du Nord. Il cultive aussi ses spécificités : fumeur assidu de narghilé, Mohammad Saleh sert aimablement le thé aux passants.

En dépit de son amabilité, le bonhomme de neige jordanien a la vie dure. Encore davantage qu’ailleurs, sa visite est éphémère. Sitôt tombée, la neige est chassée, brossée, fondue. Le sol et l’air soufflent le froid mais aussi le chaud. Les passants le bombardent souvent copieusement de boules de neige. Tenace et pugnace, le bonhomme de neige résiste tant bien que mal.

Le lendemain (hier), le soleil jordanien a repris ses couleurs sur Amman. Malgré le froid ambiant, c’est l’hallali pour le bonhomme de neige. J’écume la capitale pour documenter sa disparition. L’un d’entre eux tente de mettre le cap plus au nord, en vain. Un autre se retrouve trop esseulé pour tenter quoi que ce soit.

Et celui-là, pourtant accommodé dans un quartier nanti, est laissé aussi à l’abandon et à l’agonie. Rien à faire, sinon déplorer et espérer qu’il renaisse bientôt, plus beau qu’avant.

Je ne circulerai pas en ville aujourd’hui. Les bonhommes de neige s’en sont allés et le trafic automobile a repris ses droits. Je me fais nostalgique de cette chaude ambiance créée dans mon quartier par ces hommes venus du froid.

A quand la prochaine chute de neige à Amman ? Elle m’aidera peut-être à répondre à la question existentielle du pourquoi les bonhommes de neige exhibent une carotte en guise de nez.

Bien à Vous,

By Bertrand

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