Cambodge – Angkor – Dentelle minérale

Phnom Penh

Phnom Penh m’accueille dans sa robe du soir. Je trouve un modeste lit et un toit au bord de la rivière Tonlé Sap, avec un magnifique restaurant en terrasse, dans ce qui sera probablement un hôtel de catégorie supérieure d’ici quelques années.

Phnom Penh ne me séduit guère, et on comprend vite pourquoi.

S-21

Mais le pire est la visite du S-21. Sous le régime des Khmers rouges, cette école transformée en lieu de détention et de torture a accueilli plus de 17’000 personnes. Celles qui en sont sorties vivantes ont connu la solution finale sur les champs de la mort des abords de la capitale.

Des centaines de portraits photographiques des victimes dressent un réquisitoire muet, mais implacable et poignant, des atrocités commises en ces murs. Des hommes et des femmes au regard parfois farouche, le plus souvent éteint et brisé ; des enfants aux yeux limpides de candeur.

Des peintures sans génie réalisées par un rescapé du S-21 témoignent des méthodes de torture utilisées par les geôliers. Quelques photographies retracent le délabrement de la capitale dont les habitants furent envoyés dans les campagnes pour oublier le capitalisme honni par Angka et ressusciter la prospérité passée du peuple khmer.

Comment ce peuple si doux et amical a-t-il pu concevoir l’un des pires génocides du XXe siècle ?

Angkor

Un superbe trajet en bateau sur les eaux du lac Tonlé Sap m’amène à Siem Reap. La ville est le point de départ pour la visite du site d’Angkor.

Les trois sites les plus connus — Angkor Wat, la cité d’Angkor Thom et le temple de Bayon en particulier, ainsi que Preah Khan — datent du XIIe siècle. Ils témoignent du zénith de la civilisation khmère de l’époque, tout en annonçant son déclin irrémédiable. A la même époque, la chrétienté occidentale est bâtisseuse de cathédrales, telle celle de Notre-Dame de Paris.

Angkor est avant tout un gigantesque assemblage de pierres jointes. L’élégance des lignes générales des bâtiments atteint sa perfection à Angkor Wat, dont les délicates tours sont autant de fleurs de lotus stylisées. La lourdeur des murs et des toitures contraste fortement avec la délicatesse des bas-reliefs.

Amas informe de pierres noirâtres lorsqu’il est vu de loin, Bayon dévoile ses charmes lors d’une visite attentive. Les tours se structurent en quatre faces sur lesquelles est sculpté un puissant et serein visage au sourire énigmatique. L’identité du personnage reste indéterminée.

Voici l’interprétation qui m’est la plus convaincante. Les 54 tours de Bayon symbolisent les 54 provinces du royaume khmer de l’époque ; le sourire énigmatique visible des quatre points cardinaux représente l’ubiquité du souverain sur ses sujets.

De plus près encore, Bayon délivre sur son pourtour une délicate bande dessinée minérale qui conte au visiteur la civilisation khmère.

Tous les guides galants vous le confirmeront : la fine dentelle minérale rehausse la grâce féminine.

A Angkor, les mondes minéral et végétal fusionnent. Les temples sont sertis dans des écrins de verdure. Le végétal a pénétré les citadelles minérales au long des siècles jusqu’à la redécouverte du site au siècle dernier. Depuis lors, la végétation a reculé sans disparaître tout à fait.

Les mousses habillent les vieilles pierres de taches noirâtres, verdâtres ou rougeâtres. Certains édifices doivent leur équilibre autant aux piliers de pierre conçus par les architectes khmers qu’aux arbres-lianes semés ensuite par dame Nature.

Pour l’archéologue et plus encore pour le simple touriste, Angkor stimule l’imagination et la mémoire. La visite d’un tel site est décevante si elle se contente du présent, si elle ne s’accompagne pas d’une extrapolation fantaisiste ou documentée sur le passé, si elle n’anime les monuments de leur vie sociale d’autrefois.

Battambang

J’ai adoré le trajet en bateau entre Siem Reap et Battambang, une rivière sinueuse et étroite comme une route de montagne surprend à chaque tournant. Des habitations sur pilotis qui s’égrènent au long des berges, surgissent des ribambelles d’enfants. En fait, notre embarcation est bien trop rapide par rapport aux rythmes locaux. Les remous aquatiques perturbent les activités traditionnelles de pêche et de transport.

Battambang n’est pour moi qu’une brève escale, avant de regagner Phnom Penh par la route. Mais quelle route !

Bien à Vous,

By Bertrand

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