Myanmar – Pluie de pépins

Je hais les parapluies

Je hais les parapluies. Aucun respect pour ce vénérable objet dont l’origine remonterait à l’Empire chinois d’il y a 3’000 ans. Cet accessoire encombrant ne m’a jamais convaincu de son utilité ou de sa grâce.

Enfant, j’attendais simplement la fin de l’averse ou de l’orage qui rafraichissaient parfois la sécheresse climatique de mon Valais natal. Puis quatorze ans de vie urbaine n’ont pas ébranlé cet axiome. Mon esprit a souvent maugréé contre le sinistre crachin, mais il n’a jamais démentit son aversion viscérale pour le parapluie, source de tous les pépins.

Mon premier parapluie m’avait séduit par ses formes généreuses et ses couleurs. Je l’ai oublié dans un bus dès le retour du soleil. Compact, bon marché et parfaitement laid, son successeur fut rapidement relégué dans les profondeurs de mon sac à dos. Après dix ans de cohabitation orageuse, je l’ai jeté sans complaisance dans une benne à ordures.

Le parapluie au Myanmar

Le Myanmar m’a obligé à surmonter mon aversion pour le parapluie. Il en a fait un accessoire indispensable en tout lieu et en tout temps, ainsi qu’un symbole social et même religieux.

Il se vend environ trois millions de parapluies chaque année au Myanmar. L’offre locale s’affiche sur d’immenses panneaux publicitaires illuminés par les sourires de vedettes médiatiques. Elle exemplifie jusqu’à la caricature le prêt-à-jeter de la consommation de masse.

Les étoffes sont translucides tant elles sont fines. Les fragiles armatures métalliques annoncent leurs futures failles techniques. Les manches de plastique glissent dans la main. Des gadgets lumineux ou des pseudo-dorures aguichent les indécis.

Mon nouveau parapluie acheté à Yangon est compact et noir, suffisamment quelconque pour m’en débarrasser dès le retour des beaux jours. Telle était du moins mon intention initiale.

Protection contre la pluie et le soleil

Durant l’interminable saison pluvieuse birmane, les écluses célestes déversent quotidiennement des torrents qui vous détrempent en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. Le reste de l’année, le soleil darde des rayons assassins contre lesquels le parapluie devient parasol.

Accessoire féminin

Les scènes urbaines comme rurales gagnent alors indéniablement en romantisme. Elégamment drapée d’une longue jupe, la gent féminine trottine à pas menus sous son ombrelle ou paresse sous son ombre.

Faute de parapluie…

Les hommes sortent couverts, eux aussi. A défaut de parapluie, les paysans maintiennent au-dessus de leur tête un rameau aux très larges feuilles. D’autres petites gens portent volontiers un casque en fibres végétales aux indéniables réminiscences coloniales qui protège un chouia contre le soleil et la pluie. Sur le littoral océanique, les protections contre les faiseurs de pluie et de beau temps se font fantaisistes et exubérantes.

Les femmes et les hommes de robe ne sont pas en reste. Seule une minorité d’entre eux bravent nu-tête les intempéries ou les ardeurs de Phébus. A moins qu’ils ne protègent parfois leur seul crâne rasé d’une étoffe repliée.

Symbole religieux et social

Durant leurs pérégrinations, tant les nonnes et que les moines ne se départissent presque jamais de leur parapluie-parasol. Vu le climat birman, on les comprend aisément.

Quand le parapluie se fait symbole social. Les moines plus vénérables disposent même d’un porteur d’ombrelle. Celle-ci peut s’habiller avec faste lors de cérémonies religieuses. Autrefois, les maîtres bouddhistes et les monarques birmans recouvraient leur ombrelle de feuilles d’or.

Couvre-chef du Bouddha

Le Bouddha lui-même médite à l’ombre. Yangon abrite la plus célèbre pagode du Myanmar, nommée Shwedagon. Corps central de l’édifice, la stupa s’élève en forme de cloche dont l’élégance occulte presque les imposantes dimensions.

Ses lignes délicates évoquent la silhouette du Bouddha assis en position de méditation. La stupa est surmontée d’une gracieuse ombrelle de métal doré. Perchée à une centaine de mètres au-dessus du sol, l’ombrelle serait incrustée de plus de 5’450 diamants et pèserait plus d’une tonne. Rudement lourde à porter, même pour un bras de Bouddha.

Paravent pour les jeunes couples

A Yangon, le parapluie-parasol se fait encore paravent contre les regards indiscrets. Une ligne de bancs publics jalonne le pourtour des deux superbes lacs qui imprègnent la géographie urbaine d’un délicat romantisme. Le dimanche, tous ces sièges sont occupés en permanence par de jeunes couples enlacés.

Georges Brassens a célébré les amoureux débutants qui “s’bécotent sur les bancs publics en s’foutant des regards obliques des passants honnêtes.” N’en déplaise à ce génial gratteur de guitare, les tourteraux birmans dissimulent leurs jeunes amours sous une prude corolle. Afin de couper court à l’opprobe public, la donzelle prétexte volontiers l’oubli de son parapluie pour mieux se blottir sous celui de son prince.

Sur les berges les moins fréquentées, les bancs ne suffisent plus aux couples enlacés sous leur paravent. Ils s’égaillent sous une floraison de nénuphars entoilés qui frémissent de leurs sages ébats. Au grand dam du passant honnête que je suis.

Bien à Vous,

Post-scriptum

Mon nouveau parapluie a déjà fait des siennes. Une de ses baleines n’a pas résisté aux dernières bourrasques. Je le ferai peut-être réparer dans l’une des innombrables échoppes qui borde les marchés les plus animés de la capitale. Je hais les parapluies.

By Bertrand

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