Art brut du Damaraland
Vingt mille ans avant la construction des premières pyramides d’Ancienne Egypte, l’homme gravait déjà des peintures rupestres sur les roches namibiennes pour célébrer sa communion avec la Nature, ses animaux et ses esprits. Patinées par deux à six mille ans, les gravures ou peintures rupestres abondent dans le nord-ouest de la Namibie – Damaraland, Kaokoveld. On y célèbre surtout les animaux sauvages, ces dieux que les chamans invoquaient lors de leurs transes. La sueur corporelle du sage servait ensuite à soigner les malades.
La Namibie compte une riche mosaïque de peuples noirs africains. Si certains y résident depuis la nuit des temps, d’autres s’y sont installés depuis quelques siècles seulement. Voici quelques morceaux choisis d’un voyage dans l’espace ethnique et dans le temps.
Fraction infime de la population namibienne, les San ou bushmen (bochimans) sont les survivants modernes de cette époque de chasseurs-cueilleurs. Leur mode de vie actuel diffère peu de celui de leurs ancêtres, fusionnant subsistance, croyances, médecine et art. Comme les Damara, les San usent d’un curieux langage de sons et de mots, intelligible aux animaux sauvages, assurent-ils. J’ai assisté à une démonstration convaincante de cette jonglerie sonore.
Beauté brute du Koakoveld
La Namibie est aussi le pays des Himbas. Issu de la grande famille bantoue, le peuple himba serait d’origine nilotique. Au terme d’une lente migration menée avec ses frères hereros, il s’établit en Afrique australe. Au XVIe siècle, Hereros et Himbas franchissent le Rubicond (le fleuve Kunene), de l’actuel Angola au nord-ouest de la Namibie.
Délogés deux siècles plus tard par les guerriers namas, les Hereros poursuivent leur errance plus au sud. Les Himbas s’égaillent, avant de refluer en Angola au milieu du XIXe siècle. Ils y subsistent tant bien que mal, affublés désormais du nom de ‘mendiants’ (himbas), avant de regagner la Namibie au début du XXe siècle.
Au contact de la colonisation allemande, le peuple himba refuse de transgresser ses coutumes, notamment religieuses et vestimentaires. Les femmes des missionnaires allemands tentent en vain de soustraire la tentation charnelle himba de l’esprit de leurs pieux époux. Face à la beauté brute et sophistiquée des femmes himbas, je comprends le danger.
Ocre comme la terre des ancêtres, la femme himba s’enduit le corps et la chevelure d’hématite épaissie de graisse animale, s’orne la chevelure de cuir et de poils d’animaux, garnit ses chevilles et ses poignets de coquillages et d’argent, se ceint les reins d’une aguichante mini-jupe de cuir. Entichée de soins corporels, elle n’en est pas moins la cheville ouvrière de l’économie familiale.
Cousins des Masais d’Afrique orientale, les Himbas sont fous de bétail. La vache sert de véhicule aux esprits des ancêtres, de monnaie d’échange économique, de dot matrimoniale. L’enclos à bétail occupe le centre du village circulaire, protégé par une haie de branchages. Chef un peu terne de famille, l’homme est polygame est fonction de son cheptel. La femme n’est pas en reste, cultivant souvent plusieurs amours simultanées.
Tous les matins, les cases circulaires de bouse séchée et au toit de chaume se muent en salons de beauté pour les femmes himbas. Celles-ci consacrereraient plus de deux heures quotidiennes à entretenir leurs charmes ocres.
Beauté d’hier
Beauté reine
Reine de demain
Reine d’après-demain
Beauté infantile
Militantisme culturel
Traditionnalistes, les Himbas, mais pas forcément passéistes, anachroniques ou démunis. Dans les années nonante, ses chefs ont su mobiliser l’opinion publique nationale et internationale pour lutter contre un projet de barrage hydroélectrique qui inonderait une partie de leurs terres, y compris des tombes sacrées. Ils ont gain de cause jusqu’à présent.
Ouverts récemment à la modernité, les quelque 10’000 Himbas de Namibie tentent de préserver leur culture en ouvrant leurs villages à un tourisme doux. J’ai adoré cette visite de quelques heures qui a permis un échange bien plus riche que d’autres expériences similaires par exemple auprès des Masais d’Afrique de l’Est.
Avoir le temps pour soi et pour les autres, un luxe d’un autre âge? Pas pour les Himbas.
Bien à Vous,