Devant le guichet, un panneau annonce les droits d’entrée dans le parc. Vingt dollars américains pour les étrangers, 50 millions de dollars zimbabwéens pour les locaux. 50 millions, ça fait beaucoup de zéros et environ douze dollars américains selon le taux de change du jour qui différera substantiellement demain. Vivre dans une économie hyper-inflationniste développe l’agilité mentale jusqu’à l’épuisement et la colère. Privilégié, j’ai effectué deux tours en autant de jours dans ce parc. Les Zimbabwéens, eux, visiteront prochainement deux fois les bureaux de vote.
Il peut paraître saugrenu de visiter un pays sinistré économiquement et en plein remous électoraux. Mon intérêt était ailleurs: les chutes Victoria. Le fleuve Zambèze y fait le grand saut entre ses rives zimbabwéenne et zambienne.
Les chutes Victoria
Deux raisons pour moi de choisir le Zimbabwe. Depuis la rive zimbabwéenne, la vue sur les chutes est rapprochée et frontale, alors qu’elle est plus lointaine et latérale du côté zambien. De Windhoek en Namibie, une liaison aérienne dessert la ville de Victoria Falls en Zimbabwe et non celle de Livingstone en Zambie.
La reine Victoria doit s’enorgueillir d’avoir prêté son auguste nom aux chutes du Zambèze, d’autant plus qu’elle ne les a probablement jamais visitées. Le 17 novembre 1855, le missionnaire médecin géographe Daniel Livingstone est le premier blanc à admirer cette merveille naturelle lors de sa descente du fleuve Zambèze qui dure quatre années. A bord d’une frêle pirogue, il accoste sur une petite île perchée au milieu du fleuve sur le fil des chutes. Courageux et téméraire.
Les chutes du majestueux Zambèze n’ont pas attendu Livingstone pour leur baptême. Dans la langue vernaculaire, elles se nommaient et se nomment toujours Mosi-oa-Tunya (“la fumée qui tonne”), ce qui reflète bien l’impression ressentie par le visiteur.
Dans les centaines de mètres précédant les chutes, on ne se doute de rien ou presque. Juste un grondement sourd et quelques remous qui agitent le lit du grand fleuve.
En s’approchant des chutes, le bruit croît jusqu’à devenir assourdissant. Sa Majesté le Zambèze vous baptise de fines gouttelettes denses au point d’obscurcir la vue. Seule la lumière crue de la mi-journée transperce le voile de particules et de nuées dans un décor sonore tonitruant. Vous vous sentez bien insignifiants.
Imaginez un lit large de 1’700 mètres, séparé en plusieurs bras, puis une brusque cassure géologique. 110 mètres plus bas, des tourbillons furieux s’épanchent, puis se disciplinent de mauvais gré dans une gorge rocheuse bien trop étroite.
Le fleuve Zambèze précipite un million de litres d’eau par seconde en moyenne annuelle et dix fois davantage lors de la saison des pluies. Lors de mon passage à la fin de la période humide, le volume d’eau est exceptionnellement élevé.
La petite île où accosta Livingstone paraît suspendue dans les airs, prête à se précipiter dans les flots qui la ceinturent.
La conjonction de la beauté et de la grandeur, le mariage des éléments naturels et de la modeste empreinte humaine sont à la fois euphorisants et relaxants.
Comme la plupart des visiteurs, je me délecte du spectacle naturel vu de la rive. L’amateur d’émotions plus fortes peut survoler les chutes en hélicoptère ou en ultraléger motorisé. Les maximalistes optent pour le saut à l’élastique du pont qui enjambe la gorge du Zambèze: 110 mètres de yo-yo. Ou bien le rafting dans la gorge, sauf en cas de crues trop fortes comme lors de mon bref séjour.
Je reste sous le charme puissant de la fumée qui tonne. Sans oublier que je n’ai rien vu ou presque du Zimbabwe, sinon une enclave de beauté, d’harmonie et de bonheur.
Que les effets magiques de la fumée qui tonne se propagent loin à la ronde. C’est tout le mal qu’on souhaite au Zimbabwe.
Bien à Vous,