De Cuzco au lac Titicaca
La route reliant Cuzco à Puno, à l’orée du lac Titicaca, est superbe, lente et souffreteuse. Perchée entre 3’400 et 4’400 mètres, elle ondule laborieusement à travers d’exquis paysages andins, à la poursuite d’anciennes voies de communication tracées par l’empire inca. A son point culminant, le moteur de notre bus exige un répit. Trop heureux d’échapper à la médiocrité du ‘guide’ imposé par le transporteur, je m’agite en tous sens. A l’altitude des plus hautes cimes suisses, le coeur et la tête battent la chamade. Par la suite, la route s’incline doucement jusqu’au lac Titicaca, confortablement installé à 3’800 mètres.
L’itinéraire est jalonné de vestiges incas. Avant l’arrivée des conquistadores espagnols, les Incas soumettent eux aussi de gré ou de force bon nombre de peuples indigènes, à partir de leur capitale Cuzco. L’expansion de l’empire est fulgurante. En moins d’un siècle, il court, le long du littoral pacifique et des cordillières andines, du nord de l’actuelle Argentine au sud de la Colombie contemporaine.
Les parallèles avec l’empire romain sautent aux yeux. Expansion géographique intelligemment menée avec la guerre comme ultime recours plutôt que modalité principale. Cohésion assurée à partir de la capitale impériale grâce à un mélange de domination, de fédéralisme et d’incitation, un puissant réseau de voies de communication, le développement du négoce ainsi que la diffusion d’une lingua franca — le quechua. La tâche est ardue. Au contraire des Romains, les Incas ne connaissent ni la roue, ni l’écriture basée sur un alphabet, ni encore la voûte.
La chute des deux empires n’est pas sans similitudes. Au faîte de sa puissance, l’empire inca se fractionne pour satisfaire l’ambition de deux frères héritiers, se mine de leurs luttes intestines, ce dont profite incidemment l’envahisseur espagnol pour le subjuguer. Grandeur et décadence des civilisations.
Les Aymaras et les Uros du lac Titicaca
Une légende inca pose le lac Titicaca comme le berceau liquide duquel émerge le couple qui, sur ordre du dieu Soleil, se rend par voie souterraine à Cuzco pour y fonder la capitale du futur empire inca. Jolie manière sans doute de s’approprier les mythes fondateurs des Aymaras et des Uros, peuples de la région du lac Titicaca. Fait plus avéré, certains indigènes se réfugient sur des îles naturelles du lac, notamment pour se soustraire à l’envahisseur inca.
Quelques centaines d’Uros vivent encore sur des îles artificielles confectionnées à partir d’un roseau nommé la totora. Imaginez une motte de terre et de racines de roseaux entremêlées, ancrée aux quatre angles par des cordes courant jusqu’au fond du lac. S’y superposent des strates horizontales de totora pour constituer un plancher flottant. Les îliens ajoutent de nouvelles couches de roseau à mesure que les strates inférieures pourrissent au contact de l’eau. La totora est un factotum pour les Uros: sol, matériau de construction des maisons et des bateaux, aliment principal riche en iode, plante médicinale, combustible, fourrage pour le petit bétail.
Marcher sur une île flottante procure une sensation extraordinaire de mollesse, d’instabilité et de confort. Mais la vie n’est pas facile pour les Uros, dont la majorité vit désormais sur terre ferme.
Amantani
Brève visite à une île éphémère. Ma destination du jour est Amantani, une île naturelle, située à trois heures plus au large du lac Titicaca, proche de la frontière bolivienne. Une île en bonne roche et en terre ferme, suffisamment petite et escarpée pour y décourager tout trafic motorisé. Une île où les habitants cultivent la communion et l’harmonie avec les dieux et les éléments naturels, et surtout la sérénité d’âme.
L’île d’Amantani est tout en hauteurs terrassées, ravinées de chemins assez raides pour essouffler tout marathonien chevronné.
Avec l’altitude, le panorama devient imprenable, international aussi, avec une portion péruvienne et une autre bolivienne. L’île est coiffée d’une double cime dédiée au couple de dieux Terre – Pacha Tata et Pacha Mama – qui symbolisent la dualité et la complé-mentarité dans la cosmogonie inca. Plus près des dieux, les terrasses s’ourlent de murets de pierres sèches afin de protéger les cultures du vent et du gel. Au sommet, le moment est magique.
Les habitants d’Amantani sont de paisibles Quechuas, réservés mais aimables, adeptes d’organisation collective et d’un tourisme doux. La famille qui m’héberge m’interroge sur mes errances planétaires, mais réaffirme son attachement à son mode de vie. A respecter et à préserver.
Taquile
Le lendemain, l’île soeur et voisine de Taquile me présente de somptueux costumes traditionnels mêlant cultures quechua et espagnole. Ici, la filature et le tricot est l’affaire de tous: les hommes cheminent souvent une quenouille ou des aiguilles cliquetantes à la main. Le résultat en vaut le coup d’oeil…
Bien à Vous,