Gorée, anti-chambre africaine
Vous vous rappelez de Water Music, ce superbe roman historique de T.C. Boyle qui relate la vie de Mungo Park, ce chirurgien explorateur écossais dont la double exploration du cours du fleuve Niger lui coûtera la vie en 1806, tout comme en 1827 celle de son fils lancé à ses trousses. Lors de sa seconde expédition, Mungo Park débarque d’abord sur l’île de Gorée, au large de Dakar. A le lire, l’île n’est alors qu’un bouillon malsain de bestioles et de fièvres tropicales, un avant-goût des épreuves qui attendent tout Européen sur terre africaine. Mais Mungo n’en a cure.
Depuis lors, vous vous en doutez, Gorée a bien changé, sans se dénaturer toutefois. De moustiques et autres bestioles, je n’ai point vu. Pas de fièvre non plus, sinon une douce torpeur tropicale qui nourrit la qualité de la vie ambiante.
Football écologique
Gorée est folle de football, rien de très original en Afrique de l’ouest. En revanche, son terrain comporte en son centre un arbitre incontournable et irrévérencieux qui se permet d’intercepter nombre de ballons. Le vénérable baobab sert également d’arbre à palabres pour les Goréens. J’imagine qu’on y disserte de… football.
Esclavage
Du XVe au XIXe siècles, Gorée est une plateforme d’expansion coloniale et commerciale que se disputent les puissances européennes. En revanche, l’Île ne joue probablement qu’un rôle mineur dans la traite des esclaves vers les Amériques, n’en déplaise au conservateur, décédé en février 2009, de la célèbre maison des Esclaves. D’autres lieux sur la côte sénégalaise, y compris la ville de Saint-Louis, ont abrité de vraies esclaveries, maisons-prisons pour les esclaves en transit forcé. Donc la porte mythique de la maison des Esclaves de Gorée, ouverte sur l’océan Atlantique, a probablement peu servi à embarquer le bois d’ébène vers les Amériques.
Grosse Bertha
Durant la première Guerre mondiale, les Français embellissent les hauteurs de l’île de casemates hérissées de grosses Bertha. Depuis lors, les babas cool sénégalais ont investi les lieux, désamorcé les tensions, désarticulé ou recyclé les arrogants canons. « Peace and Love », qu’ils professent, pour ajouter: « L’art des gens vaut mieux que l’argent. » Moi j’veux bien.
La voix douce
Babas cool ou non, les Goréens ont choisi la voie douce. Je me surprends à les envier au vu des jours comptés de mon escapade sénégalaise.
Vague dominicale
Le dimanche, la nonchalance goréenne se mue en ambiance très goguette, grâce aux hordes de Dakarois déversés par les bateaux navettes. Baffles géantes et musique en vogue, friture et boissons énergétiques, cris et brouhahas, jeux de sable et d’eau, drague et bronzette, Gorée plonge dans l’océan social du XXIe siècle.
Un instant gêné par la débauche de décibels en un tel endroit, je reviens rapidement à de meilleurs sentiments. Un vrai festival visuel et sonore, dans un décor historique imperturbable.
Le soir, les plagistes fêtards sautent prestement dans le dernier ferry pour Dakar. Le corps mouillé et sablé, la peau fripée, les yeux rougis. Mais le verbe reste inépuisable et le sourire incontournable.
J’ai aimé Gorée, même si les puristes sont souvent nostalgiques d’une tranquilité hors du temps et de l’espace qui n’a plus cours. J’ai aimé y séjourner plusieurs jours, goûter aux soirées noires d’encre et blanches de lune, explorer ses recoins délaissés pour y dénicher des pans de son histoire cosmopolite.
Au fait, de son nom indigène Beer, l’île est rebaptisée Palma au XVe siècle par les Portuguais. Mouillage parfait, elle répond au doux nom de Goede Reede (bonne rade) au XVIIe siècle hollandais, qui devient logiquement Good Rade sous les Anglais, avant de dériver jusqu’au Gorée français. En rade à Gorée, le bon plan.
Bien à Vous,