Liban – Beyrouth: Le grand opéra

Je suis à Beyrouth. La cité portuaire ouverte sur l’espace méditerranéen a connu la moitié des armées et des commerçants de la terre, mais elle demeure Beyrouth. Vétérane de guerre, la capitale libanaise a souvent saigné et pansé ses plaies sans jamais trépasser. Résiliente, elle s’est accommodée de tout et de tous pour mieux rebondir, joyeuse et désordonnée, joyeusement désordonnée.

Beyrouth, grand opéra

Beyrouth est un grand opéra. On y joue au quotidien un mélodrame complexe aux multiples actes. Un mélodrame en vogue. Un imbrioglio plein de rebondissements, truffé d’intrigues, pétri d’ambitions et d’émotions, baigné de soleil et de décibels.

Avec ou sans rabatteurs, les gens convergent de partout vers la scène. Car l’opéra beyrouthien n’attire pas de spectateurs ; il les met en scène. Le patchwork politico-confessionnel qui en résulte procède de la destruction créatrice : violente mais porteuse d’espoir. Beyrouth, la dynamite et la dynamique, est en route.

Moi aussi. Je rejoins la foule. Une fois dans l’opéra, je m’installe sur un gradin dans l’attente du lever de rideau.

Premier acte: Tragédie

Le premier acte est tragique. Entre 1975 et 1990, Beyrouth se déchire dans une longue et sanglante guerre civile imbriquée dans le mélimélo régional. Le centre-ville, jusqu’alors cœur de l’activité économique, se vide pour mieux faire parler la poudre de part et d’autre de la ligne de démarcation entre les factions belligérantes.

Deuxième acte: Espoir

Le deuxième acte est porteur d’espoir. Depuis lors, le centre-ville a pansé ses plaies et balayé ses cendres. Un projet pharaonique conçu dans les années 90 remodèle l’urbanisme du cœur historique de Beyrouth. Les bâtiments sont détruits un par un pour laisser la place au nouveau Beyrouth. Destruction créatrice.

Troisième acte: Paix froide

Le troisième acte est teinté de paix froide. Malgré son renouveau architectural, le centre-ville porte encore les scories de ces années douloureuses. Il reste aussi l’épicentre des manifestations publiques. Désormais pacifié, le quartier n’a pas résolu toutes ses tensions. Voisinage emblématique, la mosquée Mohammad Al-Amin jouxte la cathédrale Saint-Georges sur la place des Martyrs.

J’aime la Bulle. Sa coque ovoïdale criblée d’impacts et perchée sur des maigres pilotis de béton, lui donne un air de casemate militaire montée sur des échasses. Il s’agit en fait d’un vestige inachevé d’un grand centre d’affaires. Aujourd’hui, la Bulle est un espace culturel très in et très rave. Tant mieux. Longue vie à la Bulle, qui détonne dans un quartier désormais trop léché et policé.

Quatrième acte: Le bling-bling

Le quatrième acte joue sur les registres matérialiste, culturel et sentimental. Beyrouth adore l’argent, le m’as-tu-vu, le bling-bling, la mode et l’éphémère. Pourtant, sa superficialité se greffe profondément dans ses racines historiques. Sa créativité bourdonnante en fait une capitale culturelle et intellectuelle régionale. Mieux encore, Beyrouth est un nid d’amour et de romantisme.

Cinquième acte: défis présents et futurs

Le cinquième acte est prospectif et développemental. Du centre-ville, le renouveau progresse de façon bien inégale. Si Hamra, Achrafié, ou encore Gemmaysé affichent une vitalité étourdissante, d’autres quartiers attendent leur heure. Histoire de temps, peut-être.

Ces quartiers en devenir devront mieux faire que l’ancien opéra de Beyrouth, qui a cédé aux muses mercantiles. Oui, le somptueux monument art déco abrite désormais un Virgin mégastore. Les esprits chagrins se consolent peut-être en y achetant de la musique classique, dans l’attente du nouvel opéra beyrouthien.

Don’t be judgemental

L’opéra conclut sur un message philosophique de tolérance propre à vous garantir le nirvana : Don’t be judgemental.

Je gagne la corniche, sur le littoral méditerranéen. Une bonne manière de remettre de l’ordre dans mes pensées. Car Beyrouth déroute.

Le destin contemporain de l’ancien opéra de Beyrouth m’inspire un premier enseignement. J’ai reçu aujourd’hui une offre alléchante d’une société souhaitant ouvrir des espaces publicitaires payants sur mon site Internet. Ce sera non. Mon travelogue n’est pas à louer ni à vendre.

Beyrouth me souffle un autre message. Si la capitale libanaise est loin d’avoir éradiqué l’intolérance, elle y travaille sans sacrifier son identité – son joyeux désordre, sa diversité, sa créativité, son dynamisme et son hédonisme.

Don’t be judgemental. Je m’y tiendrai. Beyrouth aussi, j’espère.

Bien à Vous,

By Bertrand

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