Salem est un Bédouin né et vivant dans le désert de Wadi Rum, au sud de la Jordanie.
Wadi Rum
Un désert fameux pour sa beauté pourpre, ocre et fauve, pour son relief spectaculaire et varié, entre roche et sable, entre monts et vaux. Un désert mythique en Occident pour avoir abrité Lawrence d’Arabie lors de la Révolte arabe du début du XXe siècle. Un décor d’anthologie pour des scènes en plein air qui jalonnent l’histoire du cinéma. Un site touristique majeur en Jordanie. Un endroit magnifique.
Les Bédouins de Wadi Rum
Salem est un Al Zalabeyh – une tribu bédouine saoudite, installée à Wadi Rum depuis quatre siècles. Guide touristique dans une entreprise familiale basée dans le village de Rum, il emmène les visiteurs jordaniens et étrangers dans la vastitude et l’altitude, dans les confins et les recoins du désert qu’il aime tant.
Vous ne saurez pas tout de Salem, car un Bédouin ne se dévoile pas si rapidement et aisément au visiteur. Son nom de famille évoque une pâtisserie palestinienne qu’un de ses ancêtres a découverte et appréciée lors d’un séjour à Jérusalem. Tellement apprécié qu’il en fit commerce avec les caravaniers. Ceux-ci eurent tôt fait de l’identifier avec la délicatesse.
La tribu Al Zalabeyh peuple les quelque mille âmes du village de Rum. Si la plupart de ses membres se sont sédentarisés par les mesures incitatives des autorités centrales, plusieurs dizaines de familles vivent encore de façon nomade ou semi-nomade dans le désert. L’écotourisme représente aujourd’hui une activité essentielle pour l’ensemble de cette tribu bédouine.
Les Bédouins de Wadi Rum ne sont pas peu fiers de leur culture et, pour la plupart, férocement déterminés à la défendre. Pourtant, Wadi Rum constitue un lieu privilégié de rencontres interculturelles. Dame Nature a montré la voie, les hommes suivent. D’abord plutôt bourru, Salem aime pourtant les gens, y compris les étrangers. Pont culturel, il se fait l’ambassadeur d’une culture bédouine traditionnelle qu’il sait menacée.
Hormis en matière de transport et de télécommunication, l’ouverture des Bédouins de Wadi Rum au monde contemporain est prudente. Un pont fragile, pensé pour mieux sauvegarder la tradition. Vu ainsi, le danger pour eux provient davantage des ‘faux Bédouins’ de Jordanie que de cultures plus allogènes telles que la mienne. Salem résiste à tout vent qui le mènerait à Amman, même pour y consulter un médecin.
Fin et agile dans la force de ses 25 ans, Salem excelle à courir les sables et les rochers, en chaussures ou pieds nus. L’heureuse synthèse d’une gazelle et d’un chamois, d’un chamelier et d’un montagnard. N’est-il jamais tombé ? Une fois, m’a-t-il confié, il a roulé une quarantaine de mètres dans les rochers avant de s’immobiliser, commotionné. Cette mésaventure ne l’a pas détourné de sa voie. Tant mieux pour moi.
Traditionnel et moderne, Salem possède six chameaux et huit cylindres. Six chameaux entretenus par sa famille restée au village de Rum. Huit cylindres montés dans un gros véhicule tout-terrain qu’il navigue avec dextérité et célérité dans les sables. Abstenez-vous de tout commentaire désobligeant sur son véhicule ou son style de conduite. Vous seriez rabroués sans ménagement pour égratigner l’essence de sa culture bédouine nomade. Un Bédouin sait se déplacer sûrement dans le désert. Le désert est sa vie, sa mort même. Cet ancien cimetière en témoigne.
Au soir du jour, Phébus s’enfouit dans les sables et les monts pour céder le ciel à dame Lune – à la beauté épanouie lors de mon séjour. Il faut décidément que je participe à ce marathon couru une fois l’an à Wadi Rum sous une lune pleine.
De retour au camp de tentes bédouines, le rituel du thé. Les Bédouins l’appellent communément leur ‘whisky’. Un thé très chaud et sucré, parfumé de thym ou de sauge sauvage, qu’ils dégustent et font déguster à toute heure et toute opportunité. Le repas du soir est cuit traditionnellement à l’étuvée dans un baril de pétrole reconverti en cocotte minute, enfoui pendant trois heures dans le sable sur un lit de cendres. Une éco-cuisine avant l’heure. Puis les chants et les danses autour du feu, qui me rappellent étrangement la culture masaï.
Côté cuisine comme divertissement, Salem n’est pas en reste. Le lendemain matin, un rien poseur et provocateur, il somnole sur l’avant de notre véhicule, comme s’il y avait passé la nuit. La journée sera longue, avec l’ascension du mont Um Adami – le plus haut sommet de Jordanie avec ses 1’840 mètres d’altitude. Je me garde bien de mentionner les hauteurs alpines de mon Valais natal. N’importe, car le sommet offre des vues splendides sur l’Arabie saoudite.
A la descente, je dévale les pentes rocheuses et caillouteuses comme dans mon enfance. Le cœur se serre, car nous partons demain. Ces gens et ces paysages de Wadi Rum sont uniques, même en Jordanie.
Au petit matin, ma première expérience chamelière. Un privilège de la vivre dans ce joyau naturel, loin des foules de Gizeh ou d’ailleurs au Moyen-Orient. Monter un chameau d’Arabie (un dromadaire en fait) s’avère plus aisé que prévu. Si la selle ne m’a pas laissé un souvenir impérissable, j’ondule encore avec délice aux long pas cadencés et presque veloutés de mon chameau. Tiens, je me prends déjà pour un Bédouin, avec ‘mon’ chameau. On naît et on est Bédouin ; on ne le devient pas.
Toutefois, un contact éclairé avec la culture bédouine à Wadi Rum ne vous laisse pas indemne. Le désert, dans sa beauté brute et austère, vous met à nu, vous révèle et vous transforme, si vous lui en laissez le temps. Sans ne vous laisser plus que l’ombre de vous-même, sans faire non plus de vous un Bédouin, l’expérience approfondie du désert vous confère la sérénité qui manque trop à notre monde agité.
Ne galvaudez donc pas un séjour à Wadi Rum. Prévoyez du temps, adoptez ses rythmes, rencontrez ses Bédouins et appréciez leur hospitalité fière et farouche.
Beauté mâle ténébreuse mais irradiante, Salem est encore célibataire. Il n’envisage pas le mariage avant ses trente ans, le temps de rouler sa bosse et de réunir l’or nécessaire à la dot de la future mariée.
Mam’zelles, vous voilà averties.
Bien à Vous,