Oman – L’encens des Rois mages

Les Rois mages

On connaît l’image d’Epinal de la fête chrétienne de l’Epiphanie, célébrée le 6 janvier. Guidés par l’étoile du Berger, trois rois mages atteignent Bethléem quelques jours après la naissance de Jésus. Melchior, Gaspard et Balthazar offrent au nouveau-né l’or, l’encens et la myrrhe.

En fait, l’Evangile de Matthieu qui conte l’épisode ne mentionne pas le nombre, les noms ou encore la condition royale des mages. Ces éléments sont greffés au fil des siècles sur le texte sacré. Selon la tradition iconographique illustrée ci-dessus par la fresque réalisée au XIIe siècle en Cappadoce par un anonyme, Gaspard, jeune roi des Indes, porte l’encens. Melchior, vénérable roi de Perse, offre l’or. Balthazar, roi des Arabes, présente la myrrhe.

Mais d’où venaient donc les rois mages ? D’Orient, selon le texte biblique. Et leurs présents ? D’Orient aussi, très probablement. A l’époque, l’encens le plus fin se cultivait dans la partie méridionale de la péninsule arabique. De nos jours, la région s’appelle le Dhofar et fait partie du Sultanat d’Oman.

Ni roi ni mage, j’ai récemment effectué le chemin en sens inverse, d’Amman à Oman, afin de retracer les origines  du présent odorant de Gaspard.

L’encens du Dhofar, Oman

Le Dhofar bénéficie d’un climat exceptionnel. La mer, toute proche. Un haut plateau semi-désertique qui contemple le littoral sur le fil d’une abrupte barrière rocheuse. Sur ce plateau calcaire, un climat aride, ponctuée par les ondées des moussons qui arrosent périodiquement la frange côtière. C’est sur ce haut plateau que prospère l’arbre à encens.

L’arbre à encens du Dhofar répond au pieux nom de boswellia sacra. Ne pas se fier aux apparences : rabougri, ratatiné, rachitique, il produit pourtant l’encens le plus fin qui soit. Aussi résistant que souffreteux, il peut vivre plusieurs siècles. Qui plus est, le boswellia sacra est généreux et guère rancunier, donnant le meilleur de lui-même à qui le maltraite et l’exploite sans vergogne.

Deux fois par an, l’homme pratique des estafilades superficielles sur le tronc et les branches principales de l’arbre. Afin de cautériser ses plaies, celui-ci produit alors une résine qui perle de ses profondeurs pour se cristalliser graduellement. Après deux à quatre semaines, la résine durcie est collectée.

L’encens du Dhofar est donc le sang végétal du boswellia sacra. Une résine odoriférante et médicinale enfantée dans la douleur mais qui vaut son pesant d’or. Sa valeur dépend du parfum, de la taille et la couleur de ses pépites. Si les gouttes de résine sont autant de larmes pour l’arbre, elles font la fortune de l’homme depuis la nuit des temps. Le Dhofar produit et commercialise l’encens depuis cinq millénaires. Dans l’Antiquité romaine, l’encens se négociait littéralement au prix de l’or.

La production traditionnelle de l’encens au Dhofar était nimbée de vapeurs mystiques. La légende locale, diffusée vraisemblablement par les propriétaires soucieux d’éloigner les voleurs, assurait que le boswellia sacra était protégé par des brouillards toxiques et des hordes de serpents volants. La région vivait alors au rythme de la production de l’encens. La saison des mariages succédait immédiatement à celle de la cueillette de la précieuse résine, car elle alimentait la dot due à la mariée et à sa famille.

Pour valoriser l’encens, il faut le transporter loin à la ronde. C’est probablement dans le Dhofar qu’est initiée la domestication du chameau d’Arabie (dromadaire). L’encens récolté sur le haut plateau du Dhofar était acheminé à dos de chameau à travers le golfe Persique vers Petra (Jordanie), la Mésopotamie (Irak), la Perse (Iran) et jusqu’aux ports du Levant (Liban, Syrie). Alternativement, les cargaisons d’encens quittaient le Dhofar à bord des fameux voiliers omanais pour les marchés plus lointains du Moyen-Orient (Caire, Alexandrie), d’Europe (Grèce, Rome) et d’Asie (Byzance, Inde, Chine).

La production et le commerce d’encens dans la Dhofar déclinent fortement au IVe siècle de notre ère. Les routes de l’encens empruntées des caravaniers pâtissent de la désertification et de l’insécurité croissantes de la péninsule arabique. De plus, l’Eglise catholique romaine prohibe l’usage de l’encens, qui n’est réintroduit en Europe qu’à l’époque des croisades.

Le Dhofar aujourd’hui

De nos jours, la production d’encens dans le Dhofar est toujours vivace, quoique d’ampleur réduite par rapport à l’Antiquité. Sur le haut plateau, les boswellia sacra se font rares mais résistent vaillamment. L’économie traditionnelle pastorale y connaît encore de beaux jours. Les chameaux pullulent dans des reliefs parfois lunaires, comme désœuvrés suite à la disparition des longues routes caravanières.

En contrebas, les contreforts du haut plateau sont étonnamment verdoyants en raison des pluies de la mousson. Dans un décor minéral déchiqueté, la mer d’Arabie joue sur tout le spectre bleu-vert du turquoise, de l’azur et de l’outremer – palette enrichie parfois de touches rouille et vert-de-gris.

Si la mer d’Arabie paraît d’huile, ses forts courants rendent toute baignade risquée, hormis dans les criques bien protégées de la haute mer. Je me suis aisément consolé avec la beauté immaculée des plages sablonneuses qui ourlent le littoral sur des centaines de kilomètres.

Ports du Dhofar

J’ai aimé également les cités portuaires. Les ports principaux d’exportation de l’encens du Dhofar étaient situés entre les localités contemporaines de Salalah et Mirbat. Les vestiges archéologiques élimés de ces cités antiques m’ont moins séduit que le port et les habitations anciennes de la petite ville de Mirbat. Petite vie tranquille, comme hors du temps.

Le charme décati de Mirbat est menacé par un projet pharaonique de développement touristique dans la région. Si vous aimez ces images, courez-y avant qu’il ne soit trop tard. Allez-y tout de suite. Vous pourrez ainsi rentrer chez vous avec de l’encens du Dhofar qui embaumera vos célébrations de fin d’année. Vous gagnerez ainsi une aura de père Noël ou de roi mage.

Pour la petite histoire,  on raconte dans les pays européens nordiques que le père Noël serait également un roi mage, mais qu’il aurait raté l’Epiphanie à Bethléem car il se trouvait trop au nord du globe terrestre pour apercevoir l’étoile du Berger. Le quatrième roi mage se consolerait depuis lors de son rendez-vous manqué  en offrant des cadeaux de Noël aux enfants.

Mes meilleurs vœux pour 2013.

By Bertrand

Trotting the globe with vision, values and humour