Fin septembre, je débarque à Paris pour un bref séjour. En marge de ses attractions touristiques, la capitale française se prête si bien aux balades urbaines savoureuses de lieux et de moments inédits.
J’aime les endroits où l’histoire et le contemporain, le passéiste et le branché s’entremêlent sans s’entrechoquer. Tout comme les clins d’œil anachroniques.
Ici, cet étonnante référence à l’histoire coloniale française trônant au-dessus d’une place bien courue du 5e arrondissement. De source locale, l’Africain joyeux était un domestique dans une pension du XVIIIe siècle. Peut-être de tempérament enjoué, il l’a certainement été lorsque il hérite de la pension à la mort de sa propriétaire. Peu dans l’air du temps, le tableau a néanmoins résisté aux démarches administratives et aux jets de pierres au nom de la sauvegarde du patrimoine historique de la Ville-Lumière.
De nos jours, la communauté africaine vivant à Paris comporte également son lot de privilégiés, tel ce couple rencontré le long du canal Saint-Martin.
La Butte aux Cailles
Le 28 septembre, je découvre la Butte aux Cailles – un quartier populaire du 13e arrondissement. On y sent une France populaire et ouvrière, un électorat résolument de gauche. Ce jour-là, on y commémore la Commune de Paris (mars-mai 1871).
La Commune de 1871
Pour mémoire, la Commune de Paris constitue un épisode des plus sombres du XIXe siècle français. Battu sèchement à Sedan en 1870 par l’armée prussienne qui assiège la capitale française durant l’hiver 1870-1871, l’empereur Napoléon III signe en janvier 1871 un armistice qui préfigure une capitulation française.
Le chancelier prussien Bismarck exige le désarmement de Paris. Malgré le blocus économique prussien, le petit peuple parisien s’oppose à la capitulation.
Le gouvernement de Thiers s’inquiète également des ferments républicains et socialistes qui agitent les couches populaires parisiennes. Celles-ci ont déjà renversé le Second Empire en septembre 1870.
En mars 1871, Thiers tente de retirer les canons français de leurs positions stratégiques dans la ville. La populace dresse des barricades et le sang ne tarde pas à couler. Thiers et son cabinet se réfugient à Versailles, suivis par des milliers de nantis parisiens.
Un gouvernement irrédentiste de la Commune de Paris est élu en hâte et en marge des institutions politiques et administratives existantes.
Le Conseil communal administre la capitale française dans un contexte d’irrédentisme et de guerre civile. Durant ses 70 jours d’existence, il initie d’importantes réformes sociales, éducationnelles et économiques.
Fin mai 1871, l’insurrection parisienne est balayée par l’armée française à l’issue d’une semaine particulièrement sanglante.
Les Amis de la Commune de Paris tiennent boutique à la Butte aux Cailles. L’association est fondée par des Communards exilés en 1871 et rentrés au pays à la faveur d’une amnistie promulguée en 1880.
Depuis lors, sa raison d’être contemporaine est fièrement énoncée dans son slogan – Le cadavre est à terre mais l’idée est debout. Non pas une idée d’irrédentisme, mais de progrès social initié durant la Commune de Paris.
En visite à la Butte aux Cailles, je découvre fortuitement la célébration annuelle de la Commune de Paris. Ignorant alors presque tout de la Commune et de ses Amis, j’ai adoré cet événement aussi coloré que tonitruant.
Sous le chapiteau, un duo féminin distille un savoureux cocktail de chansons populaires dont les textes engagés évoquent la lutte ouvrière. Certaines d’entre elles sont extraites du répertoire musical du parti communiste français au début du XXe siècle. Un groupe de rock musclé reprend le flambeau sonore sur la petite scène.
Quel héritage concret nous a légué la Commune de Paris ? Une expérience républicaine et un chantier inachevé de réformes sociales, diraient ses Amis.
Une référence historique pour les luttes sociales contemporaines, ajouterait cet étudiant rencontré alors qu’il distribuait sur la Butte un pamphlet dénonçant les coupes sociales envisagées dans le projet de budget national 2014.
Pour moi, la Commune de Paris se perpétue dans la créativité bourdonnante et irrévérencieuse qui jalonne la Butte aux Cailles. Le nom de certaines échoppes devrait figurer dans le dictionnaire des bonnes idées.
Plus encore, les rues et les façades de la Butte exhibent un florès de superbes graffitis artistiques dont certains sont signés du même auteur anonyme. Inconnu ? Pas tout à fait, car j’ai repéré quelques indices.
En fin limier, je déduis que les graffitis de la Butte aux Cailles sont l’œuvre d’une jeune femme. Le choix de thèmes et leur traitement artistique sont explicites à cet égard. A force d’obstination, je la repère enfin parmi le public de la commémoration de la Commune de Paris.
A dire vrai, lassé de chercher, je décide que cette femme au look délicieusement rétro dissimule notre auteure inconnue. Tout aussi arbitrairement, je décrète que ses aïeules défendaient courageusement une barricade lors de la Commune de 1871.
On chercherait en vain un pendant helvétique et contemporain de la Commune parisienne. En vain car les paysages sociopolitiques français et suisses diffèrent notablement. Vous en doutez ? Voyez ici. En Suisse, les gros sous sont à gauche…
Bien à Vous,