Mon récent séjour à Paris intervient quelques jours après les événements tragiques du 13 novembre 2015. La ville est meurtrie et hébétée.
Sous le sceau de l’état d’urgence, les rues parisiennes sont quadrillées par les forces de sécurité. Les quidams évitent les lieux publics et fréquentés tels que magasins, restaurants, cinémas, salles de concert et infrastructures sportives. Les chalands boudent les petites et grandes surfaces au profit du commerce en ligne. Les recettes touristiques chutent brutalement en raison d’annulations massives.
La Ville Lumière est sombre. Blessée dans sa chair comme dans son âme, elle est tentée par un repli identitaire. La France des couleurs célébrée par Idir – kabyle de sang, parisien d’adoption et républicain de conviction – est malmenée.
Paris est sombre, mais la vie continue. ‘Des ennuis, des chagrins s’effacent ; un grand bonheur qui prend sa place’, chante l’immortelle Edith Piaf dans La vie en rose.
Edit Piaf voit pour la première fois La vie en rose en 1945 – quatre ans avant que le boxeur Marcel Cerdan – son grand amour – ne disparaisse dans un accident d’avion alors qu’il se rendait à New York pour l’y rencontrer. Brisée, la Môme poursuit néanmoins sa carrière.
Si je ne décèle pas ce grand bonheur décrit par Edith Piaf lors de mon bref séjour parisien, j’y perçois une résilience, une force de caractère et un humour collectifs qui me font chaud au cœur. C’est tout la Môme, ça.
Belleville, multicolore
Au fait, Edith Piaf est née en 1915 et a vécu jusqu’à 1934 dans le quartier de Belleville, dans le 20e arrondissement.
La commune de Belleville est annexée à Paris en 1860 pour constituer ultérieurement le cœur du quartier éponyme. Une économie locale essentiellement viticole reconvertie en tissu industriel au 19e siècle. Une banlieue ouvrière qui absorbe des flux répétés de migrants – Polonais, Arméniens et Juifs d’Europe centrale au sortir de la Première Guerre mondiale, Maghrébins dans les années 50, Asiatiques dans la décennie 80, Africains plus récemment.
Quartier populaire, Belleville n’en a pas moins enfanté de grands noms. Outre Edith Piaf, Maurice Chevalier et Eddy Mitchell y ont vu également le jour.
Belleville se distingue encore de nos jours. Le quartier abrite non seulement une mini France des couleurs, mais également de nombreuses œuvres picturales brossées sur la voie publique. Des graffitis contestataires ou coquins, fantasques ou futuristes, burlesques ou ubuesques. Tout comme de sages fresques historiques ou culturelles.
Autant de bonnes raisons pour y jeter quelques coups d’œil photographiques.
Ce monde est flou; ce monde est fou. Mais quel monde au fait ? Un monde mad, un monde à la fois futuriste et suranné, un monde vivant où l’humain serait l’espèce la plus évoluée mais aussi le pire prédateur. Un monde Mad Max.
Belleville propose et cultive la liberté d’aimer, l’égalité des droits, la fraternité des sexes. L’amour y court les rues et s’affiche sans pudeur. Pourquoi pas ? Le quartier célèbre ainsi la vie, l’amour et l’amitié dans un déluge de couleurs.
Belleville ne s’égare pas dans un mirage bonasse. Patriote et volontaire, elle rame, lutte et résiste pour soutenir et promouvoir ses valeurs. En temps plus serein, elle s’octroie une fainéantise coquette de bon alois.
Dans le haut du quartier, Belleville s’offre même le luxe d’un magnifique parc urbain agrémenté d’une fontaine et couronné par une magnifique esplanade. Souveraine et sereine, elle trône bien au-dessus de la lointaine et liliputienne Tour Eiffel.
Sur l’esplanade du parc de Belleville se mélangent harmonieusement générations, genres, nationalités, races et confessions. Les Parisiens de toujours côtoient ceux d’un jour; les chapeaux melon fraient avec les casquettes et les cagoules hip-hop. Un vrai bonheur.
Je quitte Paris rasséréné. La Ville Lumière est sombre, mais jamais ne sombre.
Gardons à l’esprit que l’Europe doit une grande partie de sa prospérité actuelle à son ouverture au monde.
Bien à Vous,